Roman/France 23 janvier Philippe Besson

Pour son premier roman après son immersion en Macronie profonde, Philippe Besson revient à la veine que l'on préfère chez lui, l'autobiographique, au sens large et avec toutes les réserves d'usage. Ainsi que l'indique la belle phrase extraite des Années d'Annie Ernaux qu'il a placée en épigraphe de son livre (« Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais »), on se trouve bien au cœur d'un exercice de mémoire : la résurrection, grâce à une simple photographie de vacances à Ars-en-Ré, retrouvée par hasard, d'un amour de jeunesse, à la fin des années 1980, qui a aussi marqué l'auteur parce qu'il a coïncidé avec un moment très douloureux de sa vie, une maladie grave qui a nécessité une lourde opération.

Mais, chez Philippe Besson, qui se libère de plus en plus de roman en roman, et prend plaisir à livrer à son lecteur des scoops sur le making of de ses ouvrages, on aurait tort de sous-estimer la part de l'imagination. Ainsi, au détour d'une vraie-fausse confidence placée entre parenthèses - un peu trop nombreuses parfois -, il nous révèle qu'il a transposé sa maladie sur le personnage de Son frère (son deuxième roman), dont elle provoque la mort. Alors que lui, heureusement, a fini par s'en tirer. Peu importe, au fond, du moment que cela fait de beaux et bons livres, ce qui est le cas ici.

Sur la photo, donc, à côté de Philippe, 21 ans en 1988, il y avait Paul, trois ans de plus, plus mûr, plus sportif, plus beau, avec ses boucles brunes. Ils se croisent par hasard au resto U de la fac de Bordeaux, où ils suivent des cursus différents mais se retrouvent quand même. Après une longue période d'observation, une passion intense naît entre eux, dont l'acmé sera un bref séjour sur l'île de Ré, pour un avant-Noël entre copains. C'est là qu'ils feront l'amour pour la première fois. Mais si Philippe se livre sans réserve, il sent chez Paul, avec de la pudeur, une puissante retenue. Le garçon ne s'épanche guère, et parle peu. Dès lors ses rares phrases comptent double. Ainsi, lorsque, fort honnêtement et dès le début, il glisse à son ami : « Ma femme m'attend. »

Le beau Paul est donc « bi », heureux en ménage apparemment, marié à une Isabelle fort sympathique, à qui Philippe sera même présenté, et avec qui il deviendra « copain », du moins tant que leurs ruses de Sioux préserveront le secret des 5-à-7 des deux amants. Ensuite, ce sera une autre histoire. Et, ainsi que sa meilleure copine Nadine le lui avait prédit, Philippe « morfle ». Doublement, puisque c'est là que, ses globules rouges fondant comme neige au soleil, on lui diagnostique une défaillance de la rate, qu'il faudra lui retirer. Somatisation ? Rétrospectivement, il n'est pas loin de le penser. L'histoire, elle, aura duré peu de temps. Et il n'a revu Paul qu'une seule fois, bien plus tard, dans un salon du livre.

Tout en pudeur dans l'impudeur, en retenue dans l'intime, en générosité dans un certain minimalisme, en regrets esquissés, ce nouveau Besson, plus austère qu'Arrête avec tes mensonges, est bien séduisant.

Philippe Besson
Un certain Paul Darrigrand
Julliard
Tirage: 60 000 ex.
Prix: 19 euros ; 212 p.
ISBN: 9782260052845

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