Décryptage

Le crowdfunding, un phénomène qui s'installe dans l'édition

Le collector de Julie Wood Saison 2, Tome 1 financé par crowfunding par les éditions Dupuis - Photo Capture d'écran Ulule

Le crowdfunding, un phénomène qui s'installe dans l'édition

Alors que KissKissBankBank vient d’être racheté par Ulule, le crowdfunding apparaît comme un phénomène de plus en plus visible dans l’édition. S’il reste privilégié par les petits éditeurs, certains gros acteurs n’hésitent plus à y avoir recours pour financer des projets spécifiques.

J’achète l’article 1.5 €

Par Valentin Chomienne
Créé le 10.01.2025 à 17h41

Maxime Blanco et Floriane Fizaine, par le biais de leurs éditions Flax, ont publié en décembre 2024 à Montpellier leur premier ouvrage pour la jeunesse, intitulé Petit Œuf. L’auteur-designer et l’illustratrice ont réussi à éditer ce livre en collectant un peu plus de 3 000 euros auprès d’une centaine de contributeurs via le service de crowdfunding Ulule.

« Nous avions commencé par chercher un éditeur, mais présenter un produit fini ne semblait pas possible car les maisons d’édition voulaient mettre leur patte, explique Maxime Blanco. Alors, nous avons essayé le crowdfunding afin de former une première communauté de lecteurs. Nous sommes partis sur 1 000 exemplaires et notre campagne nous a permis de rembourser l’avance de trésorerie. » Fort de ce succès, les éditions Flax ont prolongé, courant décembre, leur opération, d’ici à fin janvier, « dans l’attente de créer notre boutique en ligne ».

Ulule accueille de très nombreuses collectes lancées par des éditeurs, à tel point que le livre représente 30 % des projets déposés sur la plateforme, de loin le secteur d’activité le plus représenté avec 7 000 projets littéraires par an. Parmi les plus récents, celui du Gloss’Hair Revendica’tif est présenté par les éditions Bandes détournées. Fort de 1 250 contributions, fin décembre, son cofondateur Émile Bertier se satisfait de bénéficier, malgré 8 % de commission, de « beaucoup plus de marge avec le crowdfunding, grâce à la commercialisation de produits annexes ».

La BD, star du crowdfunding

Les parutions de bandes dessinées – et de mangas aussi – se distinguent particulièrement dans cette économie. Ainsi, l’opération Braderie Valiant 2024, lancée fin septembre par les éditions Bliss, basées près de Bordeaux, faisait partie des « plus populaires » d’Ulule. Le service de crowdfunding annonce avoir récolté plus de 30 millions d’euros, depuis sa création en 2010, pour les projets liés à la BD et au manga. Son directeur général, Arnaud Burgot, acquiesce : « La bande dessinée fonctionne le plus, avec les mangas, ouvrages d’art, de photos, etc. »

Son nouveau collègue Thibaut Giuliani, ancien responsable des projets d’édition chez KissKissBankBank (plus de 177 millions d’euros récoltés depuis son lancement en 2009), passé chez Ulule à la faveur du rachat de début décembre, observe de son côté une massification du crowdfunding : « Avant, ce mode de financement restait très indé. Mais, un glissement s’est opéré ces deux dernières années, avec l’arrivée d’éditeurs purs et durs, comme Dargaud et Dupuis, qui se sont emparés de cet outil. »

Dupuis a par exemple achevé le 1er décembre 2024 sa campagne de précommande pour une version collector du tome 1 de la saison 2 de Julie Wood, avec 348 contributeurs. L’édition courante arrivera quant à elle en librairie en février 2025. Autre exemple, Hoëbeke (Gallimard), a aussi mis un pied dans le financement participatif en juin 2024 via KissKissBankBank pour le « livre-photo féministe » Lusted Men

Dans l’édition, le poids important pris par le financement participatif dépasse le seul cas d’Ulule, avec d’autres structures identifiées comme HelloAsso. Il est étayé par les chiffres établis par le spécialiste de l’audit Forvis Mazars dont les dernières informations sectorielles remontent à son baromètre annuel de 2023 : « L’édition, le journalisme et les publications représentent un volume collecté de près de 25 millions d’euros, soit près de 30 % du secteur culturel », précise Bertrand Desportes, associé du groupe.

« Un pansement sur une jambe de bois »

Faut-il pour autant voir dans le crowdfunding l’avenir tout tracé de l’édition ? Si Galia Tapiero, fondatrice des éditions Kilowatt et présidente de l’association de l’Édition indépendante en Île-de-France, a remarqué « l’accroissement » de ce mode de financement, elle n’y décèle pas un « modèle économique. » « Les éditeurs connaissent de plus en plus de problèmes financiers, donc chacun cherche sa solution mais il ne faudrait pas que le crowdfunding devienne un pansement sur une jambe de bois », alerte-t-elle.

Car, à ses yeux, un problème se pose : « Passer par le financement participatif, cela revient à se couper de la librairie. Mais, attention car, quand la librairie va mal, l'édition aussi. » Et, la logique initiale du crowdfunding semble lui donner raison : le contributeur reçoit sa contrepartie, en l’occurrence un livre, directement à domicile. Par conséquent, il ne passe plus dans la boutique et de nombreux commerçants peuvent voir d’un mauvais œil cette pratique.

Alexandre Dana, directeur des éditions 23heures59, spécialisées dans les carnets personnalisés, assume pour sa part avoir « choisi d’éviter la distribution en librairie. » « Ce système pousse à surproduire pour assurer une bonne visibilité, complète-t-il. Au final, entre 20 et 25 % des livres imprimés finissent généralement au pilon ».

Les relations entre financement participatif et librairies ne sont pourtant pas rompues, comme le montrent les éditions Phénomène, à l’approche de la parution, en mars, de Veille du ciel : elles se sont associées au diffuseur-distributeur Interart pour finir dans les rayonnages.

Entretien avec Guillaume François, naturaliste-photographe à l’origine de la collecte pour le livre À pas feutrés, sur Ulule

Les dernières
actualités