17 août > Roman France > Patrick Deville

A la fin du roman, le 10 mars 2017, le narrateur ramène à Antananarivo, jadis Tananarive, dite "Tana" par les colons blancs, un grand diable de Malgache qu’il a connu soixante ans plus tôt à Saint-Nazaire. Comme on relâcherait dans son milieu naturel un vieux fauve trop longtemps demeuré en captivité. Le malheureux, hébété, se balance d’avant en arrière, coupé du monde, se contentant de prononcer "Taba-Taba", formule énigmatique. D’où son surnom. Au narrateur, qui a des lettres, il évoque le Baudelaire aphasique des derniers temps, cloué dans son fauteuil, enchaînant les "Crénom". Taba-Taba, lui, finira paisiblement ses jours à Moramanga, à trois heures de route démente de la capitale malgache, et le narrateur, la boucle bouclée, pourra enfin "essayer d’oublier" toute cette histoire. Essayer seulement, car on n’échappe jamais à son enfance, à ses souvenirs. Ce nouveau livre de Patrick Deville le démontre à l’envi.

Tout a commencé en 1957, à Mindin, en face de Saint-Nazaire, au lazaret créé par Napoléon III en 1862, et devenu hôpital psychiatrique. Le narrateur est le fils du directeur, par ailleurs chanteur baryton, un enfant souffreteux qui peine à se déplacer et doit souvent demeurer immobilisé, d’où, tout jeune, sa prédisposition pour la lecture (Moravagine de Cendrars, en particulier, son premier livre fétiche), la songerie, puis, plus tard, l’écriture. Solitaire, ses seuls compagnons sont les patients, dont le fameux Taba-Taba. Huit années passeront ainsi. Après, lorsqu’il aura été opéré et aura recouvré sa mobilité, le narrateur, qui se rêvait en Chevalier noir, se lancera dans un véritable tourbillon bourlingueur : "Par la suite et pendant des décennies, j’avais voulu voyager comme un fou de crainte de retrouver l’immobilité avant d’avoir épuisé tous les lieux de l’atlas."

Ces souvenirs se mêlent à ceux de sa famille retrouvés dans les archives de la tante Monne (comment son grand-père poilu, Paul-Marie, a rencontré et conquis Eugénie-Joséphine, native du Caire), et à un vaste projet de retracer l’expansion coloniale française sous le second Empire. Sans oublier le triste quotidien d’aujourd’hui : le terrorisme, Charlie Hebdo…

Pour ses trente ans de littérature, Deville a composé un roman-fleuve généreux. On se perd parfois dans ses méandres érudits, mais le talentueux nautonier sait nous guider là où il veut, de Saint-Nazaire à Madagascar, en passant par à peu près toute la planète. J.-C. P.

30.06 2017

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