Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, a évoqué, en mars dernier, lors de son audition par la commission numérique de l’Assemblée nationale, le contenu de sa future loi numérique. Elle a indiqué qu’y figurerait une disposition visant à instaurer un
“droit de panorama”. Il s’agit là de
la libre exploitation des images d’œuvres protégées par le droit d’auteur mais qui figurent dans l’espace public.
Rappelons que le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose, en son article L. 112-2, que sont considérées
“comme œuvres de l’esprit au sens du présent code [...]
les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture”.
Les oeuvres des architectes sont par conséquent protégeables au titre de la propriété littéraire et artistique, tout comme les sculptures exposées sur les places publiques, les fresques qui habillent les murs aveugles, les fontaines et autres stations de tram commandées à des artistes ; sans compter les graffs et les immanquables œuvres d’art giratoire, qui figurent – et parfois défigurent… – au centre de chaque rond-point de notre pays.
Il est en pratique encore assez rare que l’administration se soit fait céder par un architecte le droit d’exploitation de l’image du bâtiment ou de l’œuvre commandés. C’est pourquoi les auteurs de célèbres monuments ou œuvres d’art plastique peuvent agir en justice contre les éditeurs, notamment de livres, qui ne leur ont pas demandé d’autorisation, ni versé de droits. Cela a été le cas de la pyramide du Louvre, de la Grande Arche de la Défense, des stabiles de Calder, etc. Plus récemment, le
street art a donné lieu également à des empoignades juridiques qui rappellent la force de la conception française du droit d’auteur.
La jurisprudence dénie toutefois tout droit patrimonial aux architectes et plasticiens quand la reproduction de leur œuvre est fondue dans une plus vaste vue d’ensemble. Ainsi la reproduction non autorisée de la Géode comme sujet central d’une carte postale a-t-elle été jugée comme une contrefaçon, alors que sa présence dans un cliché plus large du XIX
e arrondissement de Paris – où elle voisine aux côtés de la nouvelle Philharmonie, du Zénith, de la Cité de la musique ou encore de la Cité des Sciences – serait admise librement.
De même, les juges considèrent que l’on peut s’exonérer de solliciter une autorisation d’un sculpteur, et a fortiori de lui verser des droits, lorsque la statue reproduite n’est pas le sujet principal de l’image, mais que celui-ci est constitué par un défilé ou une cérémonie, qui ne pourrait être filmée ou photographiée sans l’œuvre protégée.
Il a été jugé à propos de Daniel Buren et Christian Drevet, qui ont réaménagé la place des Terreaux à Lyon. Les deux créateurs ont poursuivi les éditeurs de cartes postales qui reproduisaient la place et, ce faisant, les œuvres de ces artistes. Le tribunal de grande instance de Lyon a estimé, le 4 avril 2001, que
“l’intrication entre patrimoine historique et aménagement moderne est telle qu’elle interdit en pratique de distinguer les deux éléments”.
Ces nuances apportées au régime de la propriété littéraire et artistique sont des créations jurisprudentielles, la loi ne comportant pas de telles exceptions.
Toutefois, en 2006, l’article L. 122-5 du CPI a été modifié par l’ajout d’un alinéa visant au titre des exceptions aux droits patrimoniaux des auteurs :
“La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l'auteur. […]
les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d’information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés”.
En clair, cela signifie que la presse a réussi à faire inscrire dans la loi, et à son seul profit, une exception qui s’apparente à ce que d’autres pays dénomment
“droit de panorama” ou
“liberté de panorama”. Ce “droit” permet de reproduire ou de représenter sans autorisation et rémunération les œuvres situées de manière permanente dans l’espace public.
Le droit de panorama est une des exceptions que proposait la
directive européenne sur le droit d’auteur de 2001. La France avait alors choisi de ne pas opter pour la transposition de cette exception, qui n’était pas obligatoire. Depuis lors, le Parlement a connu une tentative, vaine, en 2011, de faire inscrire en droit français le droit de panorama. Ce droit existe, sous des formes très différentes, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse ou encore en Malaisie.
En évoquant ce printemps un possible droit de panorama, Axelle Lemaire s’est déjà attiré les foudres de l’ADAGP (Association de défense des arts graphiques et plastiques), la société de gestion collective qui gère les droits de nombreux architectes et plasticiens.
Soulignons enfin que, quel que soit le sort exact de la future loi numérique, le droit au respect du nom, qui est un des attributs du droit moral des créateurs, imposera toujours de mentionner le patronyme de l’architecte ou de l’artiste sur toute reproduction de son œuvre.