Après Rossenotti (10/18, 1999) et La ballade des canailles (Plon, 2004), le brillant Enrico Remmert poursuit dans la même veine et la même thématique : la peinture tendre et ironique d'une jeunesse italienne déboussolée. Mais rien de répétitif : Petit art de lafuite, composé comme un choral à trois voix, est un road trip farfelu, de Turin (la ville de l'écrivain) jusqu'à Bari, dans les Pouilles désertes et eneigées.
Les héros, qui sont aussi, en alternance, les narrateurs, sont des trentenaires un peu paumés, qui ne font pas partie de la movida turinoise. Il y a Vittorio, un violoncelliste mélancolique, qui ne parvient pas, originaire de Monopoli, dans les Pouilles, à faire son trou dans le nord de la péninsule ; Francesca, sa fiancée, une scientifique sans emploi fixe, qui semble tombée amoureuse de Luca, un vétérinaire, et veut profiter de leur voyage à Bari pour annoncer à Vittorio sa volonté de rompre ; et enfin, Manu, leur amie, une monitrice d'auto-école très immature, qui forme avec Ivan, un DJ psychopathe, un couple chaotique. Justement, apprenant que ses copains partent, elle se greffe sur l'expédition, se proposant de les conduire en voiture, dans "la Baronne", une Fiat Punto hors d'âge. Vittorio et Francesca accueillent avec plaisir Manu, d'autant qu'elle ne va pas très bien : il se pourrait qu'elle soit enceinte, et Ivan vient de lui flanquer une correction. En s'enfuyant, elle lui a piqué son tableau de Keith Haring, pour payer la benzina et les péages...
Erreur funeste : fou furieux, le DJ les poursuit dans sa puissante Range Rover, leur tombe dessus et récupère son bien au terme d'une bagarre homérique. Mais les trois amis ont plus d'un tour dans leur sac. Et ils sont tellement fauchés que leurs scrupules (ceux de Vittorio surtout) fondent comme neige.
De galères en petites catastrophes, "la Baronne" fait son office, et Bari approche. Après une dernière halte à Barletta, où Riccardo, le patron sympa d'une trattoria, qui en pince un peu pour Manu, leur vient en aide, le trio parviendra enfin à Bari. Moment délicat de la séparation : Manu, avec son Keith Haring mal acquis, repart pour le Nord, et Vittorio va se ressourcer chez ses grands-parents à Monopoli. Mais que va faire Francesca : danser un dernier tango avec ce grand fou de Vittorio et choisir la raison - Luca avec sa situation confortable ? On laissera Enrico Remmert se débrouiller avec les interrogations de ses personnages, drôles et attachants, qui se raccrochent à leur jeunesse comme à une bouée dans la tempête du monde moderne.