5 octobre > Roman France > J. M. G. Le Clézio

Même s’il est né à Nice, en 1940, Jean-Marie Gustave Le Clézio se revendique parfois, non sans coquetterie, écrivain "franco-mauricien". Il rappelle ainsi et assume que s’il n’a pas vécu lui-même dans l’ancienne île de France, ses ancêtres bretons y avaient émigré au XVIIIe siècle. En ce temps-là, déjà, si l’on en croit certaines encyclopédies, il n’y avait plus de dodos dans l’île, ils avaient tous été massacrés, au siècle précédent, par les colons néerlandais.

Justement, c’est le descendant de l’un d’entre eux, Jérémie Felsen, qui se rend à Maurice, sur la prière de sa mère, à la recherche de leurs racines et des derniers témoins qui auraient pu connaître des membres de leur famille. Lui reparti, il pensait être le dernier des Felsen. Mais il apprendra que non. Il en existe un autre, Dominique, dit Dodo Fe’sen, ou Coup de ros, ou Lézard, fils des amours coupables entre Antoine Felsen, un cousin, et "une créole réunionnaise qu’il avait connue à Paris", Rani Laroche, d’origine indienne. Les deux sont morts. Dodo, qui avait coulé une douce enfance à Alma, la vaste maison de famille, excellant en particulier au piano, est devenu un paria, un clochard, rongé et défiguré par la syphilis ("le grand Sygma") contractée auprès de Zobeide, une prostituée qu’il a fréquentée dans sa jeunesse. Il finira sa vie à la Maison Blanche, un hôpital pour les fous et les indigents.

Dodo est l’un des deux narrateurs à la première personne de cette histoire, dans un mélange de français et de créole. L’autre est Jérémie, qui mène sur le terrain une sorte d’enquête, rencontrant des témoins, retrouvant des documents qui lui permettent de marcher sur les traces de ses ancêtres, arrivés en 1796, planteurs de canne à sucre, esclavagistes et massacreurs de dodos. Les dictionnaires divergent : en restait-il encore ?

Le dodo, ou dronte, est le troisième héros de ce roman, le premier que Le Clézio ait écrit depuis longtemps. De son nom scientifique Raphus cucullatus, c’était un gros oiseau endémique, incapable de voler, et, pour son malheur, peu farouche envers l’homme et sûrement succulent. Il s’en fit grand carnage. L’espèce est totalement éteinte. On en conserve un squelette, au musée d’Histoire naturelle, et Jérémie rapporte à sa mère une pierre blanche, trouvée dans le gésier d’un dodo. Devenu le triste emblème de Maurice, le dodo symbolise le traitement que l’homme inflige à la nature, et les menaces que le prétendu progrès fait peser sur l’environnement, en particulier des paradis terrestres comme la belle île de l’océan Indien. On sait Le Clézio très sensible à cette thématique, comme à la dénonciation de l’esclavage, du racisme, et à l’éloge de la diversité culturelle et linguistique.

Jérémie, dans un certain sens, c’est lui, et Alma Eurêka la demeure où vécut son grand-père, "le chercheur d’or" Alexis, à qui il a consacré un livre superbe en 1985 - ici remercié pour l’histoire de l’esclave Topsie : la boucle est bouclée. Et le roman, touffu, foisonnant, se referme sur ses trésors disparus. Jean-Claude Perrier

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