Une petite phrase tirée d'un manuel conjugal au XIXe siècle donne le ton : « L'homme voudrait toujours être le premier amour de sa femme, tandis que la femme se contenterait d'être le dernier amour de son mari. » Sous couvert de morale, les religions ont souvent vanté, et certaines exaltent encore, la virginité de la femme comme le cadeau suprême offert aux mâles et la chasteté comme une offrande à Dieu. Pour comprendre les origines de ces notions, il faut remonter à la Bible. C'est ce qu'on fait Alain Cabantous (Université de Paris-1) et François Walter (Université de Genève). Ces deux spécialistes des mentalités et de la longue durée ont déjà signé ensemble une histoire de Noël (Payot, 2016). Ils explorent aujourd'hui un territoire a priori moins glacial : celui de la chair. Sauf qu'ils l'abordent par le biais de deux concepts restrictifs, la virginité et la chasteté.
Entre la virginité et la chasteté, la distinction tourne vite au distinguo. Les théologiens catholiques considèrent que la première est le plus haut niveau de la seconde. La virginité est en effet célébrée comme témoignage de la chasteté ultime. Cette chasteté glorifiée ne concerne visiblement pas les clercs. Durant leur ministère, les prêtres ne se privent pas des plaisirs de la chair y compris ceux criminels comme en témoignent les récents scandales de pédophilie au sein de l'Église.
Cabantous et Walter avancent donc en terrain miné ou virginité, chasteté, continence, célibat et abstinence se mêlent. « Brouillages généralisés et accentués par le fait que l'on peut être vierge, compris ici comme n'ayant eu aucun rapport sexuel abouti, sans pour autant être chaste, que l'on peut être chaste sans être vierge ou continent sans être chaste ! » À la recherche du continent perdu, mais bien vite retrouvé, les deux compères élaborent une histoire de la sexualité à travers ces deux composantes qui sont censées la nier alors qu'évidemment elles en font partie intégrante. Il existe un érotisme de la virginité et l'abstinence ne fait penser qu'à ce qu'elle interdit.
Leur travail, très érudit, puise abondamment dans les traités anciens et la littérature. Il explique comment, en cinq siècles, on passe lentement de la contrainte à la liberté de choix, mais pas partout et pas pour tout le monde. Il s'agit aussi d'une réflexion stimulante sur le rapport à la personne, à la religion, à la société, sur la femme envisagée au regard des désirs masculins, sur une coercition qui a permis paradoxalement via un discours sur ce corps de le libérer. Enfin presque...
Les tentations de la chair : virginité et chasteté (du XVIe au XXIe siècle) - Sous la direction de Sophie Bajard
Payot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 25 euros ; 416 p.
ISBN: 9782228925372