On sait, depuis le Roberto Bolaño des Détectives sauvages et le Rodrigo Fresán de Mantra, que la ville de Mexico (Mexico DF, pour les autochtones), moderne Babylone, est à elle seule, sujet et personnage, le symbole de ce que la littérature latina peut présenter de plus contemporain. Il faudra désormais ajouter à cette liste le délicieusement sarcastique Hôtel DF de Guillermo Fadanelli. Tout le livre est comme une illustration de la phrase de Fadanelli selon laquelle "fruit d'un esprit malade, Mexico est une mauvaise plaisanterie de Dieu".
En ces pages, comme l'indique le titre, Mexico c'est d'abord un hôtel comme il en existe des centaines, pas vraiment luxueux, mais pas tout à fait borgne, "l'hôtel Isabel". C'est là que, cinq mille pesos en poche, choisit de se retirer pour quelques jours de paresse et de ratiocination le héros du roman, le journaliste et vaguement poète, Frank Henestrosa. Cet Oblomov mexicain va croiser de bars en couloirs, de chambres en lobbies, toute une humanité largement aussi déclassée que lui ; un héritier allemand venu à la rencontre de son destin, un acteur pour publicités télévisées et son épouse, une imprudente fille de catholiques andalous, un truand surnommé "le Nairobi", on en passe et des plus improbables, et des moins fréquentables.
Derrière la jubilation romanesque qui est à Guillermo Fadanelli comme une marque de fabrique depuis la publication de ses deux premiers livres en France, L'autre visage de Rock Hudson et Un scorpion en février (tous deux chez Bourgois, 2006), il n'est pas interdit de considérer que, cette fois-ci, la plaisanterie est suffisamment grinçante pour être franchement inquiétante. Portrait d'une ville perdue qui se réinvente sans cesse en même temps que requiem pour une humanité égarée, Hôtel DF brille d'un éclat comique et noir qui en fait une oeuvre de moraliste navré autant que de romancier.