2 juin > Essai France

Le titre a quelque chose de dissonant, tiendrait presque de l’oxymore. Pourtant le dernier ouvrage de Philippe d’Iribarne n’a rien d’une provocation au style pamphlétaire. Chrétien et moderne, comme ses autres travaux - son précédent s’interrogeait sur L’islam devant la démocratie (Gallimard, "Le Débat", 2013) - propose une réflexion rigoureuse à partir d’observations concrètes. Ici, sur la relation dialectique, voire antagoniste, entre les deux modes de pensée et de vie qu’incarnent le christianisme et la modernité. Pour cet apologiste de l’héritage chrétien, il ne s’agit pas d’occulter les défaillances, les collusions aberrantes entre ceux qui prétendaient porter le message de Jésus, l’Eglise catholique romaine notamment, et le pouvoir temporel - les monarchies absolues d’Ancien Régime, et jusque dans l’histoire récente, le franquisme. Car un combat sans merci eut bien lieu entre les autorités ecclésiastiques et les champions des Lumières. Mais si les philosophes de la raison moderne et les théoriciens de la souveraine liberté individuelle (Locke, Rousseau) ont pu si farouchement s’opposer aux gardiens du temple chrétien, c’est que, paradoxalement, ces penseurs qui ont jeté les bases intellectuelles de nos futures démocraties libérales ont pu émerger et même trouver un terreau favorable à leurs idées dans les ferments du christianisme même. Aussi Iribarne souligne-t-il l’importance du libre arbitre et de l’émancipation au cœur de la parole christique : "Pour l’Evangile, l’homme libre est celui qui, sans illusions sur le mal qu’il porte en lui, se confie à Dieu pour qu’il l’en délivre : "Celui qui commet le péché est esclave du péché. […] Si c’est le Fils qui vous affranchit, vous serez réellement des hommes libres." (Jean, 8 34-36)" En outre, si l’Eglise fut oublieuse de ses divergences théologiques dans ses développements ultérieurs, celles-ci furent au tout début du christianisme nombreuses et tolérées. Ce qui ne fut pas toujours le cas dans d’autres religions, tel l’islam où le troisième calife Uthman fit détruire toutes les versions antérieures non conformes à "ce que Dieu a dicté au prophète". Cette conception exclusive se traduit encore dans le droit islamique où une musulmane n’est pas autorisée à épouser un non-musulman.

A l’heure de la concurrence effrénée entre les individus dans le cadre de la mondialisation libérale, l’enseignement du Christ, couplé aux acquis de la modernité, est pour Philippe d’Iribarne loin d’être obsolète : il remet au centre l’attention portée aux plus humbles et aux laissés-pour-compte. Si l’Etat contemporain fournit souvent un effort de solidarité pour pallier la pauvreté, dans ce geste rationnel et administratif manque cette épaisseur existentielle, le plan affectif et relationnel, l’essence même du christianisme : l’amour du prochain. S. J. R.

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