Zulma traduit pour la première fois en français l’œuvre d’Ambai, nom de plume de l’universitaire féministe indienne C. S. Lakshmi, née en 1944 dans le Tamil Nadu, l’Etat de langue tamoul situé au sud-est de la péninsule. Belle découverte que ce recueil composé de quatre nouvelles qui mettent sur le devant de la scène des femmes de différentes générations cherchant leur place entre quotidien domestique et hautes aspirations créatives et émancipatrices. Une éditrice, fille d’une professeure d’anglais à l’université de Bénarès séparée d’un poète illustre, une virtuose du chant carnatique, la musique traditionnelle de l’Inde du Sud, une femme au foyer mariée à un pingre, une écrivaine en retraite dans une forêt…, chacune incarne une forme de résistance, un mode d’autonomie conquise ou à conquérir.
Ambai, dont la voix évoque Zoyâ Pirzâd - le premier recueil de l’écrivaine iranienne, Comme tous les après-midi, paru en 2007, est réédité ce mois-ci chez le même éditeur -, tisse avec beaucoup de délicatesse la description documentaire et une sagesse poétique sans esbroufe ; l’ordinaire ménager, sensuel et émotionnel du monde féminin indien et les vers des chants dévotionnels et des mythes anciens.
Les héroïnes du chœur d’Ambai composent souvent dans la douleur, même si cette violence est nichée dans le sous-texte, avec leur condition de femmes contraintes à un ordre social masculin. Elles aménagent sans bruit les lieux d’une dissidence, parfois pleine de contradictions. Une fille note ainsi que sa mère, universitaire, elle-même fille d’un père éditeur éclairé qui estimait que les études primaient sur l’apprentissage de la cuisson du riz, "aime cuisiner en tenant compte de la couleur".
"De haute lutte", la nouvelle qui donne son titre au recueil, décrit une famille d’artistes, celle où a été recueillie Cempakam, confiée à 5 ans par sa mère, veuve, à un grand maître du chant. Devenue la disciple la plus douée du musicien, elle a épousé, par amour, le fils de la maison, chanteur lui aussi, mais celui-ci, jaloux du talent de sa femme, la cantonne dans les coulisses pour occuper seul le devant de la scène. La fin est ouverte comme toutes les chutes du recueil. Moins fataliste peut-être, à première vue, que la deuxième nouvelle, "Les ailes brisées", dans laquelle une jeune femme souffre d’être mariée avec un homme "à grosse bedaine", terriblement avare, compagnon et père sans égards. En proie à un conflit intérieur d’autant plus tourmentant qu’elle a donné dix ans plus tôt "son entier consentement à cette union". Dans l’étroite marge de manœuvre dont elle dispose, elle imagine des lois plus ou moins fantaisistes et radicales qui changeraient son sort, s’étonne d’être subitement "traversée par l’idée qu’elle pût être libre". La liberté commence par cette pensée-là. Un début. V. R.