Originaire du Midwest, l’héroïne d’Orgasme, le nouveau roman de Chuck Palahniuk, Penny Harrigan, sert des cafés chez BB & B, "le cabinet d’avocats le plus florissant d’Amérique" - elle a raté l’examen du barreau trois fois - et essuie le mépris de ses collègues mâles qui l’appellent "hillbilly" ("plouc des collines") ou de ses "consœurs" mieux lookées comme Monique qui, l’autre jour, lui a suggéré "un petit endroit à Chinatown… Ils peuvent enlever ces horribles poils qui te poussent tout autour de la bouche… Puis à voix basse, comme au théâtre : "C’est tellement bon marché que même toi, tu pourrais te l’offrir." Penny se dit que "certaines femmes n’avaient jamais entendu parler de la solidarité féminine universelle" et désire inventer autre chose : "[…] femme au foyer ou avocate. Madone ou putain. Une voie qui ne soit pas enlisée dans les vestiges boueux de quelque rêve victorien. Penny voulait aller bien au-delà du féminisme lui-même !" En attendant, on l’appelle à l’étage où se tient une réunion. Penny arrive avec son plateau de latte fumants, une porte s’ouvre et bing ! la voilà par terre et cul à l’air, le breuvage caféiné et crémeux en guise de shampooing. Le big boss, M. Brillstein, est furieux, prêt à jeter sur elle les vigiles pour l’évacuer. La pauvre se mire dans les chaussures impeccablement cirées de celui qui vient de la renverser. Ni plus ni moins que Cornelius Linus Maxwell, "le multimilliardaire le plus riche de la planète", le play-boy que les tabloïds ont affublé du surnom d’"Orgasmus" Maxwell. Le tout-puissant roi de l’informatique est là pour une affaire de divorce d’avec Alouette d’Ambrosia, six fois couronnée aux Oscars, qui lui réclame une pension. Une énième conquête après la première femme présidente des Etats-Unis, l’actuelle souveraine de Grande-Bretagne… Maxwell se penche, très gentleman, et aide Penny à se relever en lui glissant une invitation à dîner le soir même. Penny devient la "Cendrillon du geek". Pour improbable que soit la suite, tout l’art de Chuck Palahniuk consiste justement à nous faire tourner les pages et adhérer à ce conte de fées érotique à rendre blême Cinquante nuances de Grey. Une satire sur la société du plaisir avec un sens de l’hyperbole absurde plus proche de Swift que d’E. L. James.
L’auteur de Fight club signe également la suite en BD de son roman culte paru en 1996 et adapté au cinéma par David Fincher, Fight club 2 (Super 8 éditions). Sur les pères absents, l’album creuse la question de la quête de virilité dont manque le modèle avec la tentation du machisme fascisant. Le trait du dessinateur canadien Cameron Stewart sert l’histoire grâce à un découpage décapant. Sean J. Rose