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Le Centre Pompidou en Chine

Le Centre Pompidou en Chine

"La coopération culturelle ne peut pas faire l’économie des aspérités intellectuelles qui entourent la création et forment avec celle-ci un ensemble."

On ne va certainement pas reprocher au Centre Pompidou d’ouvrir une « antenne » à Shanghai. La Chine s’apprêtant à devenir le nouveau centre du monde il convient d’y valoriser la culture occidentale et, en retour, d’être en prise directe avec les évolutions qui s’y produisent. Une antenne a l’avantage d’émettre et de recevoir. Elle préserve les chances de la coopération dans un monde guetté par le repli ou l’hégémonie.
 
Il ne faut pas oublier, cependant, que le Centre Pompidou ne se limite pas à un musée, aussi prestigieux soit-il. Le livre, avec la Bibliothèque publique d’information (Bpi), y occupe une place très importante, conformément au concept fondateur d’un centre culturel normalement dédié à toutes les formes de la modernité. 
 
Certes, on imagine mal une Bpi bis à Shanghai. Elle n’y trouverait pas son public. La difficulté de la langue et du temps long de la lecture ne pourrait y rivaliser avec l’impact immédiat (ou presque) des œuvres plastiques. Telle est, au-delà de l’exportation d’une marque, la force d’un musée d’art : il condense une culture et lui donne une présence. Cette culture, cependant, ne peut pas être longtemps détachée d’un contexte où la langue joue un rôle majeur.

Les différentes formes de création
 
La culture chinoise en est justement un bon exemple. Elle nous démontre que, plus que les monuments, c’est parfois l’écriture qui garantit la pérennité et la vitalité d’une civilisation. Rien d’étonnant, d’ailleurs, à ce qu’au moment de prendre un nouvel essor elle emprunte avec une redoutable efficacité technologique la voie des signes et des codes. Les relations culturelles avec la Chine ne pourront donc pas se limiter à une parade séductrice. Elles devront instaurer un débat et jouer de toute la gamme des modes d’expression, à l’image de ce que le Centre Pompidou a déjà su faire à maintes reprises.
 
Ne perdons pas de vue ce que celui-ci, à la différence des autres musées, avait pour ambition de montrer et de promouvoir :  l’enrichissement mutuelle des différentes formes de création en un vaste propos sur elles-mêmes et sur le monde. Ainsi, la fameuse roue de Duchamp que l’antenne de Shanghai présente actuellement n’a de sens qu’incluse dans ce discours autoréférentiel de la modernité occidentale dont le lettré Pompidou connaissait si bien les arcanes qu’il a souhaité associer étroitement les objets d’art au livre et, donc, à la réflexion critique.
 
C’est pourquoi une installation à Shanghai a une portée bien plus grande que celle de tout autre musée français ailleurs dans le monde. Elle engage à l’instauration d’un véritable échange avec une grande culture en plein mouvement. C’est d’ailleurs ce que le président de Beaubourg a promis en annonçant que tout un programme d’activités culturelles serait mis en place. Encore faudra-t-il bien mesurer l’ampleur du défi et la marge de manœuvre.

Coopération compliquée
 
Je me souviens avoir organisé en 2004 une exposition à Canton consacrée à quelques grandes figures historiques de l’histoire chinoise qui avaient fréquenté l’Institut franco-chinois de Lyon dans les années 1920 et dont le fonds chinois de la Bibliothèque de Lyon conserve des traces uniques. Certaines de ces personnalités n’étant plus en odeur de sainteté nous avons dû laisser vides les vitrines qui leur étaient consacrées et, le lendemain de mon retour en France, j’apprenais que mon homologue de la bibliothèque de Canton avait été rétrogradé. La coopération n’est donc pas toujours facile quand on ne s’en tient pas à la présentation d’œuvres d’apparence consensuelles. Il faudra que le Centre Pompidou le sache s’il veut faire connaître jusqu’en Chine l’esprit qui a présidé à sa création et à de mémorables expositions comme Paris-BerlinParis-Moscou ou Vienne 1880-1938, naissance d’un siècle.
 
Ma référence au livre et à tout ce que le texte suppose de pensée critique n’est pas une défense pro domo. Elle n’oppose pas le texte à l’objet d’art. Elle signifie simplement que la coopération culturelle ne peut pas faire l’économie des aspérités intellectuelles qui entourent la création et forment avec celle-ci un ensemble. Le Centre Pompidou est désormais en Chine l’institution culturelle la mieux à même de réussir cette alchimie. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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