Franz Bartelt, l’une des plus belles machines à écrire de notre paysage littéraire, continue de tourner à plein régime, servi par une imagination aussi farfelue qu’inépuisable. Cette fois, il nous sert un conte rocambolesque et gentiment immoral, un western parodique riche en rebondissements, raconté par son héros lui-même, à la première personne et au second degré. Il était une fois, donc, quelque part en province, un certain Majésu Monroe (non, aucun lien de parenté avec l’autre), un bonimenteur doué d’une tchatche hors du commun, d’un coefficient d’autosatisfaction rarement atteint, qui se dépeint comme un « inventif », un type « doué en tout ». Et bon à rien, surtout : faible, et guère étouffé par le sens moral. Faute de mieux, il s’est fait brocanteur, mais attention, spécialisé dans « l’objet unique » : comme le tube digestif de Pantagruel, ou encore ce fémur de Rimbaud qui fournit son titre au roman, et dont il ne sera pas plus question que ça. Le crâne de Napoléon enfant, c’était déjà pris. Sinon, escomptant la formidable crédulité de ses semblables, il eût tenté de le vendre.
Un beau jour, il fait la connaissance de Noème Parker, une fille de grands bourgeois en rupture de ban, alcoolique et révoltée, ex-communiste qui ne rêve que du « grand soir » où elle en profitera pour assassiner ses opulents géniteurs. En attendant, c’est le coup de foudre. Et ce faisan de Majésu, pour se faire mousser auprès de sa belle, lui fait croire qu’il a assassiné un patron, Maximilien Dourdine. Pour ce meurtre, un innocent huissier, Mika Brahut, a été condamné et emprisonné, et il n’est pas sûr que sa femme, pulpeuse et infidèle, attende impatiemment sa libération. L’inspecteur Bradouate, pour sa part, un flic ripou sans aucun complexe, est tout près de croire Majésu coupable du crime que ce dernier essaie de faire passer pour politique, façon Brigades rouges. Noème s’installe chez Majésu, file avec lui un parfait amour marginal et accepte de l’épouser, à condition qu’aussitôt après il l’aide à assassiner ses parents. L’imbécile heureux promet, bien sûr, même si les Parker, à qui on le présente au cours d’un dîner burlesque, lui sont plutôt sympathiques. Et il n’est pas indifférent à leur fortune, aux 100 000 dollars qu’ils offrent au jeune couple en guise de cadeau de mariage, et dont le mari s’empare sans scrupule.
A partir de là, tout va partir en vrille. Et s’enchaîner des épisodes tous plus délirants l’un que l’autre, que l’on ne saurait dévoiler ici, bien entendu.
Comme à son habitude, Bartelt, le reclus graphomane des Ardennes, a réussi son coup. Pour peu qu’on pénètre dans son petit univers de satirique fantaisie, on ne lâche pas le roman jusqu’à sa dernière ligne où, en forme de confession, Majésu avoue : «j’ai toujours eu tendance à en faire trop ». Bartelt, lui aussi, qui ose la fiction la plus débridée, en fait « trop ». Et c’est ainsi qu’il est grand.
Jean-Claude Perrier