1er septembre > Histoire France

Paul Veyne est nietzschéen, comme son ami Michel Foucault auquel il a consacré un essai sensible et pénétrant (Foucault : sa pensée, sa personne, Albin Michel, 2008). Pour lui, le savoir est forcément gai et l’érudition un jeu. Un jeu intellectuel et savant qu’il explique sans fard dans ses malicieux souvenirs. A 84 ans, on peut se permettre la franchise. Et on reconnaît bien dans le style le phrasé de Paul Veyne, ses petites incises, cette volonté de tout dire comme un "constat médical" jusqu’au montant de sa retraite.

De son enfance dans la petite bourgeoisie provençale à la chaire d’histoire romaine au Collège de France, Paul Veyne ne cache rien, sans jamais être impudique : le bonheur d’être prof, la satisfaction de transmettre, cette dissymétrie du visage qu’il appelle sa "laideur", son amour des femmes, ce plaisir de s’intéresser à ce qui apparemment ne sert à rien, sa passion pour l’alpinisme au point de vouloir son piolet dans son cercueil, cette façon d’être "un faux bohème qu’attire le romanesque".

Avec cette même fausse légèreté, il raconte sa vie à Normale Sup, ce "monastère laïc". Il se souvient de son copain de promotion Georges Ville, du futur prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes aussi assidu aux cours de physique qu’aux représentations du Crazy Horse, et de ses discussions avec l’élégant Gérard Genette sur l’avenir du Parti communiste. Paul Veyne aura lui aussi sa carte jusqu’en 1956, et il confie que sa seule activité militante fut de traduire Gramsci pour Althusser.

Quand un grand historien nous parle de lui, il a souvent tendance à nous entretenir d’autre chose. On aurait donc pu s’attendre à ce que ce spécialiste de l’Antiquité, traducteur de Virgile et amateur de peinture italienne, nous entraîne vers des horizons multiples. Il le fait, bien sûr, mais sans jamais perdre de vue ce qu’il s’était promis de dire sur lui-même. Car il y a un autre versant, plus sombre, de la vie de Paul Veyne, avec un beau-fils mort du sida et un fils qui se suicide à la carabine. "Je n’ai pas le cœur d’en dire plus long." En pareilles circonstances, l’homme foudroyé ne peut que renvoyer au poème de son camarade René Char : "J’habite une douleur".

Paul Veyne, qui a contribué à faire réfléchir sur sa discipline dans Comment on écrit l’histoire, livre sa réflexion sur sa propre existence. Non-chrétien, il croit à une sorte d’immortalité de l’âme, qui lui fait dire que "dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas". De ses souvenirs, on retient la sincérité et la générosité. "J’ai eu une femme et un enfant, je ne les ai plus ; j’ai su des choses, je les ai oubliées." Les histoires de cet oncle Paul-là ne sont pas que belles. Elles sont vraies, intelligentes et graves. Elles nous disent des choses sur aujourd’hui et sur demain. C’est d’ailleurs à cela que l’on reconnaît un grand historien. Parce qu’il nous explique plus ce que nous sommes que ce que nous avons été.

Laurent Lemire

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