Roman/Argentine 21 août Agustina Bazterrica

En cette époque d'incertitudes sociopolitiques et climatiques, la jeune quadra argentine Agustina Bazterrica s'empare de la crainte de la catastrophe pour écrire un premier roman décapant, qui sera adapté à la télévision. Il tient la route de la première à la dernière ligne. « L'être humain est la cause de tous les maux de ce monde. Nous sommes notre propre virus », écrit-elle. Un virus justement a ravagé la planète. Les animaux ont été décimés, mais l'homme, omnivore, refuse de céder au végétarisme. Pour combler la pénurie, des scientifiques imaginent une nouvelle espèce. « Des humains élevés pour être des animaux comestibles. La viande humaine s'appelle désormais "viande spéciale". » Marcos est l'un des instruments de cette nouvelle chaîne alimentaire, puisqu'il travaille aux Abattoirs Municipaux. Son coup fatal est légendaire. « Assassiner serait le mot exact, mais ce mot-là n'est pas autorisé. » Lui-même est habité par le silence, depuis la mort de son enfant. Sa femme, Cecilia, ne s'en remet pas. Elle a déserté la maison, désormais plongée dans une atmosphère de lourd chagrin.

Peu à peu, Marcos s'éteint, pendant que son père sombre dans la folie. La livraison d'une femelle d'élevage va tout changer. Elle « ne portait pas de nom et n'était qu'un numéro dans un registre ». Mais cet être effacé et hybride va incarner auprès de lui une forme de présence. Elle est pourtant le produit de ce croisement improbable entre l'homme et l'animal. Une race programmée pour mourir, sans un cri, car ses cordes vocales ont été arrachées. Marcos « aimerait lui apprendre à lire, mais quel sens cela aurait-il, puisqu'elle n'est pas capable de parler ? ». Deux univers dichotomiques cohabitent en lui : celui de l'Abattoir implacable et celui de l'intimité. Rebaptisée « Jasmin », la femelle lui apporte une touche de douceur et d'humanité inattendue. Or cette relation est passible de mort.

Agustina Bazterrica se défend d'avoir écrit « un pamphlet ou une fable morale ».Elle n'encourage pas à devenir végans. N'empêche, écrit-elle, que « toute assiette contient de la mort. Qu'est-ce qui nous empêche de nous manger les uns les autres ? » Héritière d'Orwell, l'auteure argentine déploie une écriture aussi picturale que glaçante. Dans un monde de plus en plus déshumanisé, elle nous pousse à une réflexion vertigineuse sur la violence, l'amour, le pouvoir.

Agustina Bazterrica
Cadavres exquis - Traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud
Flammarion
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19 euros ; 304 p.
ISBN: 9782081478398

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