Le 1er septembre 1952, à Paris, Louis Aragon, vache sacrée du PCF, membre du comité central, directeur des Lettres françaises, écrivain célèbre et honoré dans l’URSS du camarade Staline, rencontre Hervé Mahé, un apparatchik du Kominform arrivé de Moscou, en mission secrète. C’est l’époque où le "Parti des fusillés", encore dirigé par un Thorez "fantôme" se "soignant" sur les bords de la mer Noire, est en train de régler ses comptes en interne avec Charles Tillon et André Marty, dit "le boucher d’Albacete", accusés de "travail fractionnel".
Entre l’écrivain de 55 ans, marié et si amoureux de son Elsa - opportunément en vacances à ce moment-là - et le jeune homme de 28 ans, c’est le coup de foudre. Durant près d’une semaine, ils vont vivre une liaison aussi torride que clandestine, en marge du Comité central du PC - qui se tient à Montreuil et où Aragon et son journal essuient les foudres d’un certain Lecœur - et de leurs camarades. Comme deux gamins, Louis et Hervé font le comité buissonnier, s’aiment dans des petits hôtels, se retrouvent pour souper à La Coupole, causent politique et littérature. Aragon évoque souvent Breton, Drieu, Nimier, se moque gentiment du goût de son ami pour Proust. D’Elsa, en revanche, espèce de statue du Commandeur dont l’ombre plane sur ces quelques jours volés par son mari, il n’est guère question : jusqu’à cet ultime dîner, le 5 au soir, à trois, où Aragon l’ambigu implore Mahé de faire l’amour à sa femme - en vain… Le lendemain, toutefois, il viendra l’embrasser une dernière fois au Bourget.
Ils se reverront, le 28 juin 1981, à La Coupole. Scène pathétique et belle où le vieil Aragon, entouré de quelques minets qu’il chasse d’un revers de main, reconnaît son ancien béguin, et évoque avec lui leurs souvenirs communs. Une "cérémonie des adieux" magistralement mise en scène par un Gérard Guégan très à son aise dans cette histoire et cette époque qu’il ressuscite avec brio. Jean-Claude Perrier