C’est à l’Amérique de la fin du siècle dernier ce que fut pour la France de la fin du siècle précédent l’affaire Dreyfus. Pas un fait divers, mais de société. Un de ces moments où se déchirent les contradictions les plus intimes d’une civilisation. Le 12 juin 1994, on retrouvait dans le jardin d’une villa du quartier de Brentwood à Los Angeles, sauvagement assassinés, les corps de Nicole Brown Simpson et de Ronald Goldman. Presque aussitôt, après une course-poursuite retransmise sur toutes les chaînes de télévision du pays, était arrêté l’ex-mari de la défunte, le célèbre footballeur américain, mais aussi acteur, O. J. Simpson. Alors que les tensions raciales - la victime était blanche, l’assassin présumé noir - et les passions s’exacerbent, le procès de O. J. Simpson, qui va se dérouler durant plus d’une année et conclura à un étonnant verdict de non-culpabilité, va tenir en haleine les Etats-Unis mieux qu’aucune série télé ne saura jamais le faire.
Parmi les centaines de témoins et journalistes qui vont suivre assidûment "l’affaire Simpson", le plus prestigieux et reconnu d’entre eux était Dominick Dunne (1925-2009). Cet ancien producteur de cinéma que trop d’excès menèrent à la ruine s’était depuis (et surtout depuis le meurtre de sa fille tuée par son compagnon) "réinventé" en romancier et chroniqueur judiciaire, notamment dans les pages de Vanity Fair, dont il était la plume vedette. Grand mondain devant l’éternel - la jet-set étant après tout son "outil de travail" -, c’était une manière de Truman Capote qui aurait su jusqu’où aller trop loin. Une autre ville que la mienne, le livre qu’il a consacré à l’affaire Simpson, enfin traduit en français grâce aux éditions Séguier, est à la fois son "art poétique" et peut-être son chef-d’œuvre. Divisions raciales, culte de la célébrité, rien n’échappe à la sagacité un brin "vacharde" de son regard. Au-delà de la fascinante foire aux vanités qu’il radiographie, c’est aussi la chute définitive du rêve américain dont il est l’un des chantres les plus inspirés.
Olivier Mony