"Nous avançons dans la vie avec trop de blessures invisibles. Trop de colère", qu’on essaye de taire. C’est par la force de son stylo que Léonora Miano creuse ces "crevasses insondables". Ces plaies qu’il est important de nommer pour ne pas sombrer. Mais qui est prêt à les écouter ? La plupart des cultures préfèrent les étouffer, alors l’écrivain s’en empare pour raconter une histoire. Celle de quatre femmes, unies par un même homme, Dio. Tout ce qu’elles ont tu jusqu’alors jaillit comme un geyser. Au départ, elles s’adressent à lui sur le ton de la revendication. Un cri plein de colère pour ces guerrières qui ont dû se battre pour traverser la vie.
Chaque voix est introduite par une phrase annonçant l’orage, comme un même refrain mettant fin aux mirages intérieurs. "On ne peut tout dire aux enfants, même quand ils sont devenus grands et qu’il faut leur faire savoir qui étaient leurs parents", soutient Madame, alias la mère de Dio. Ce garçon "cultive la rancœur" envers les siens, alors qu’ils ont placé tous leurs espoirs dans leur progéniture. Madame est un modèle de réussite, ce n’est qu’une façade façonnée au fil des années. "Les femmes font ce qu’elles peuvent. Ce qu’elles doivent." A savoir : jouer un certain rôle. Or qu’en est-il de leur être véritable ? Que cache-t-on aux autres et à soi-même ?
Le quatuor de ce roman étincelant y répond en levant le voile sur ses secrets et ses tabous les plus profonds. Chacune explore son corps et ses désirs refoulés. Autant de portes qui s’ouvrent de façon violente ou sensuelle. Tiki, la sœur de Dio, Ixora, sa fiancée, ou Amandla, son premier amour, éprouvent une tentation de rébellion. D’autant qu’elles évoluent sur une terre contrastée, qu’on devine africaine. Les inégalités sexuelles s’ajoutent aux problèmes de colonialisme, de racisme, de religion ou de domination.
Ce texte ardent - si spécifique et universel - ne pardonne rien. Au contraire, il espère secouer les esprits pour les inviter au changement. Riche de son héritage kémite, Amandla clame : "Son peuple a toutes les couleurs du genre humain." La langue mirifique de Léonora Miano explore sa complexité. Un hymne aux femmes et à leur dignité, tant elles doivent sans cesse se réinventer. K. E.