Pour les uns, il reste le prince absolu du prêt-à-porter. Pour les autres, il se résume à l’image donnée par une marionnette de télévision lestée d’un catogan, d’un éventail et d’une paire de lunettes noires. Selon Patrick Mauriès, l’écrivain et éditeur à qui l’on doit la préface du Monde selon Karl, le beau livre à l’élégante maquette que propose Flammarion, Karl Lagerfeld est avant tout un « irrégulier ». Un « forcené du présent ». Un fervent amateur des lettres de la Palatine, de Mme du Deffand ou de Julie de Lespinasse. Un « esprit libre » ayant le « sens de la pique et de la pointe ».
Le présent volume - relié, avec plus de 80 illustrations - dresse un étonnant autoportrait de cet accélérateur de particules. Un excentrique qui ne boit jamais de boissons chaudes, prétend ne jamais manger, déteste les vacances, milite pour la journée de quarante-huit heures, fonctionne à l’instinct. Et reconnaît d’ailleurs volontiers que l’instinct de préservation est chez lui l’instinct le plus développé. Européen libre, mercenaire qui abhorre la langue de bois et les faux-semblants, Lagerfeld se révèle un homme cultivé pour qui la lecture est « une maladie grave, une pathologie obsessionnelle ».
« Travailler, c’est faire un boulot qu’on n’aime pas. Dès l’instant que nous aimez votre boulot, ce n’est plus du travail », avance celui qui parle ici de régime, de sa mère ou de Chanel. Celui qui affirme notamment qu’« il faut faire des choses qu’on n’est pas censé faire ». A l’écouter, « le luxe, c’est la liberté d’esprit, l’indépendance, bref, le politiquement incorrect ». Lucide, Karl Lagerfeld semble être le premier à reconnaître que la mode est superficielle, qu’il faut toujours « casser pour reconstruire, aimer ce que l’on a détesté et détester ce que l’on a aimé ». Laissons-lui bien entendu le mot de la fin. « Etre heureux ? Non, je ne suis pas si ambitieux », lâche-il avec élégance.
Al. F.