20 AVRIL - ROMAN Italie

Photo DR/DENOËL

Il y a d'abord l'auteur. Nicolaï Lilin est né en 1980 dans une famille sibérienne, au fin fond d'une province déshéritée de la vaste Russie. Délinquant très juvénile, enfermé à 12 ans dans une prison pour mineurs, il est ensuite enrôlé de force dans l'armée russe et participe aux combats en Tchétchénie de 1999 à 2000. En 2003, il émigre en Italie, ouvre une boutique de tatouage à Milan, et publie cinq ans plus tard en italien son premier roman, Urkas ! (Denoël, 2010), où il raconte son enfance de bandit. John Malkovitch est en train de le porter à l'écran. Sniper en est la suite, second volet d'une trilogie dont le dernier volume est paru il y a quelques mois en Italie.

Il y a ensuite le thème : les combats en Tchétchénie entre une armée russe organisée et des rebelles huit fois moins nombreux, mais bien plus riches en héroïne, en fanatisme et en désespoir. Le narrateur, qui a appris, enfant, à tirer à la chasse avec son grand-père en Sibérie, se voit remettre une kalachnikov à lunette de visée. Enrôlé dans une section d'assaut, il suit avec quelques autres les ordres du capitaine Nossov, vétéran de Yougoslavie et d'Afghanistan, qui a "épousé la guerre ». A ses côtés, il tue des hommes en ville, à la montagne, la nuit, dans le brouillard, sous la pluie, le jour, dans une mosquée, dans un bois - partout. Il est témoin de la barbarie des soldats des deux camps et des ravages parmi les civils. Nossov explique à ses troupes les intérêts des Américains et des Russes dans ce conflit absurde, où les ennemis sont russophones. Nossov est comme un père, mais il torture aussi parfois, pour montrer que l'armée n'a pas peur. Et même s'il n'y a aucun sadisme dans l'effroi qui l'emplit à la vue des cadavres frais de "gars de [son] âge », le narrateur lui-même confie sentir en tirant "un amour immodéré pour la mort, ce plaisir étrange que seule la chasse à l'homme peut vous procurer ».

Il y a enfin la force de la narration. Le livre aurait pu être un récit de guerre somme toute banal, comme il en fleurit après chaque conflit. S'il n'échappe pas à l'effet catalogue, rendu inévitable par la monotonie terrible des missions, le récit trouve à chaque instant un second souffle, une force qui refuse le lyrisme et les mensonges sur la patrie, sur la guerre juste, sur les héros. Il y préfère une certaine ironie : un prisonnier qui s'enfuit, tenant son pantalon dénoué, donne l'image grotesque et significative d'une course en sac qui finit d'une balle dans le dos.

Peut-être parce que Nicolaï Lilin pense que "le niveau de violence varie selon les lieux mais [qu']elle est partout », comme il le confiait au Monde en 2010, il ne cherche pas à dénoncer et échappe au rôle de donneur de leçons. Tour à tour cruel et drôle, il montre, c'est tout. A quoi peut ressembler la vie humaine.

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