25 AOÛT - ROMAN Algérie

Boualem Sansal- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Yazid, le narrateur, est le fier descendant de la tribu des Kadri, des commerçants nomades fixés dans un petit bled de l'Ouarsenis, Bordj Dakir, à 300 kilomètres au sud-ouest d'Alger. Né en 1949, il a connu une enfance chaotique dans une famille aussi secrète que compliquée, avant d'être conduit à Alger, en 1957. C'est là qu'il a fait sa vie, modeste, comparée à celle de Djéda, sa richissime grand-mère, maquerelle de haut vol qui avait établi sa pratique dans l'ancien palais de Ranovalana III, dernière reine de Madagascar exilée par les Français à Alger, où elle est morte en 1917. Entre autres possessions, le palais appartenait à Djéda, sacrée femme d'affaires, racheté bien plus tard par le "président de la République Abdelaziz Ier », comme l'appelle Sansal. Tout un symbole.

Autre symbole, aussi fort : la rue Darwin, dans le quartier de Belcourt, où Yazid a passé sa jeunesse, a été rebaptisée Benzined-Mohamed. Encore un signe de l'islamisation obscurantiste pratiquée par le FLN au pouvoir depuis 1962 et du communautarisme. A Belcourt, autrefois, cohabitaient musulmans, juifs, chrétiens, Arabes, Kabyles, Français. "De tout l'ancien peuple de Belcourt, il ne restait personne », constate tristement Yazid lorsqu'il y revient, après la mort de sa mère, qu'il avait accompagnée à Paris afin qu'elle y soit mieux soignée. Peine perdue. Tombée dans le coma dès sa montée en avion, Karima n'en est sortie qu'un bref instant, pour envoyer son aîné à la quête de ses origines, rue Darwin.

A Paris, Yazid était arrivé à réunir autour de la "mamma" mourante presque toute sa nombreuse fratrie, éclatée à travers la planète : Marseille, Paris, le Canada, les Etats-Unis... Lui seul étant demeuré au pays. Ce faisant, il commence à apprendre, par bribes, des éléments de leurs vies : comment Karim le Marseillais a bien réussi, Nazim est devenu un nabab à Paris, Hédi, le benjamin, embrigadé par les djihadistes, s'est fait taliban... Tandis que Daoud a vécu son homosexualité sous le pseudonyme de David, à la fois provocant et protecteur. La famille l'avait ramené en France in extremis, où il est mort du sida...

Mais c'est à Alger, auprès de la vieille Farroudja, sa "seconde mère", au seuil elle aussi du tombeau, que Yazid apprendra le reste, le grand mystère sur sa filiation. Qu'il avait toujours pressenti, au fond, sans oser se l'avouer.

On laissera au lecteur de Boualem Sansal le plaisir de suivre Yazid dans son enquête et les méandres de sa mémoire. On prend également plaisir, comme souvent chez Sansal, à ces envolées satiriques, à ces diatribes contre cette Algérie "moderne" où il vit toujours, courageusement, mais dans laquelle il se reconnaît de moins en moins. A moins que "le printemps du jasmin", qui se répand un peu partout dans le monde arabe, ne mobilise à son tour une jeunesse algérienne qui se dit lasse du système qu'on lui impose depuis trop longtemps, de la corruption, de la misère, du manque total d'avenir auquel elle est condamnée, mais qui n'est pas encore parvenue à secouer le joug du pouvoir. Alors, si l'Algérie rejoint la Tunisie, l'Egypte et les autres pays dans leur lutte pour la liberté et la démocratie, Boualem Sansal se réjouira, et deviendra prophète en son pays.

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