Docteure en lettres et enseignante en littérature française, Carine Roucan a publié sur le site The Conversation un article dans lequel elle révèle que les jeunes ont toujours une appétence pour la lecture, qui se manifeste désormais à travers le succès des plateformes numériques comme Wattpad ou Webtoon fédératrices de communautés d'internautes lecteurs-auteurs. Elle observe aussi que, soucieux de ne pas laisser s'échapper ce lectorat d'adolescents et de jeunes adultes, les éditeurs investissent ces nouveaux espaces virtuels numériques.

Selon une enquête Ipsos sur les jeunes Français et la lecture, les 7-19 ans lisent 13 minutes de plus qu’en 2016 et passent 3 h 14 par jour en moyenne sur une page imprimée. Les écrans, eux, les mobilisent 3 h 50 par jour. Faut-il donc comprendre qu'ils lisent moins qu'ils ne regardent ? Pas sûr. Carine Roucan répond en effet à Livres Hebdo que « le temps passé à lire sur un écran et sur les plateformes numériques n'est pas compté comme temps de lecture faute de moyens et d'outils pour le quantifier. De plus, poursuit-elle, dans les enquêtes quantitatives, les adolescents et les jeunes adultes n'auraient pas le réflexe de parler de ce qu'ils ont lu sur Wattpad ou Webtoon par exemple ».

Le succès des communautés de lecteurs-auteurs

Carine Roucan estime qu'après le bouleversement survenu avec l'ebook, le monde du livre connaît désormais un autre tournant « amorcé avec les réseaux sociaux et sous la forme de plates-formes de lecture et d’écriture ». La promotion se fait à présent sur les réseaux tels Instagram et TikTok qui « ont pris le relais des vidéos YouTube, noyant ainsi les conseils de lecture dans le flux des posts, de telle façon qu’il est extrêmement difficile de quantifier le temps passé à regarder ces conseils de lecture », avance-t-elle dans son article.

Pour l'enseignante à l'Université du Havre, « ces plates-formes importent des États-Unis et du Canada des pratiques qui inquiètent l’industrie du livre ». Or, selon elle, « c'est une évolution vivifiante car elle vient de la jeunesse qui renouvelle les usages. Elle oblige les maisons d’édition à prendre en compte ces changements et à écouter ces jeunes lecteurs et lectrices ».

L'universitaire prend l'exemple de l'éditeur Hugo Publishing (Paris), spécialisé dans la littérature jeune adulte. Cette maison a développé un site et une application mobile nommée Fyctia. Sa plateforme réunit une communauté d'internautes qui peuvent proposer des textes, participer à des concours d'écriture lancés par l'éditeur, participer au scrutin pour départager les finalistes, etc. « Des concours thématiques sont initiés, les utilisateurs peuvent poster leurs chapitres tout en recevant l'avis des lecteurs, le tout épaulé par l'équipe éditoriale », détaille Carine Roucan.

La course aux « likes » ?

Selon l'enseignante, le succès de ces plateformes repose aussi sur le fait que les jeunes sont moins préoccupés que leurs aînés par la publicité ciblée et la gestion relativement opaque de leurs données privées. Ils iront donc plus naturellement vers elles. Le plus souvent gratuites,  « elles correspondent à une économie de la donnée : ainsi, le succès d’un texte posté en ligne tient au nombre de personnes qui le lisent », écrit Carine Roucan sur The Conversation. La plateformisation du monde du livre ne risque-t-il pas de nuire à la créativité littéraire en ne se focalisant que sur le critère du succès ? « C'est une grande question », répond l'universitaire, « on ne peut pas fonctionner sans prendre en compte le goût du lecteur. Il faut faire un pas vers la jeunesse pour éviter qu'elle trouve d'autres lectures qui échappent à la légitimation de notre monde éditorial et de la critique ».