En janvier dernier, après, semble-t-il, pas mal de recherches, de tentatives de contacts, de difficultés à vaincre des réticences, Pierre Adrian, jeune étudiant français de 23 ans, décide de se lancer dans une aventure peu banale : se rendre en Italie sur les traces de Pasolini, dans tous les lieux où il a vécu, et même celui où il est mort, le 2 novembre 1975, dans un terrain vague non loin d’Ostie, massacré, dans des circonstances qui demeurent pas tout à fait élucidées. Il avait 53 ans. Et le récit d’Adrian commence comme ça, d’ailleurs, par la fin, sordide mais prévisible, d’un homme inclassable, rebelle, marginal en dépit de sa notoriété. Un provocateur qui a toujours craché son mépris à la face de l’Italie, de la bourgeoisie, de l’ordre établi. Tout en étant profondément croyant, à sa façon, et aux limites du blasphème.
On ne se choisit pas un tel "maître" impunément. "Je vis pleinement Pasolini", note Adrian, ce "Pa’" (son surnom), père fantasmé et impossible à qui il a dédié son livre. En dépit de ses réticences, voire de sa répulsion face à certaines dérives de son héros, notamment sexuelles. Il avoue ainsi avoir du mal avec Salo ou les 120 journées de Sodome, le dernier film de Pasolini, inachevé et posthume, qui comporte il est vrai nombre de scènes insoutenables.
Alors Adrian en hiver, seul dans sa petite Fiat de location, en proie, surtout l’après-midi, à de fréquentes crises d’angoisse, qu’il traite à l’alcool et aux antidépresseurs, accomplit consciencieusement sa quête, mettant ses pas dans ceux de Pasolini, chronologiquement. Depuis Casarsa, village du Frioul où il a passé sa jeunesse, où est mort son frère Guido, en 1945, dans un massacre entre résistants, où il a enseigné et commencé à écrire, dans ce dialecte frioulan auquel il restera toujours attaché et qu’il défendra toute sa vie, dans toute son œuvre. Ce Frioul dont il est chassé en 1950, son homosexualité "active" ayant choqué ses camarades communistes. Il vit un temps à Bologne, puis gagne Rome. Adrian rencontre et interviewe les derniers fidèles, les derniers témoins, comme Angela, qui veille sur le culte - revivifié ces derniers temps - de l’artiste, ou le cinéaste Carlo di Carlo, qui fut son assistant sur La rabbia et Mamma Roma. Il se rend sur place, à l’EUR, 9, via Eufrate - toute la vie de Pasolini semble placée sous le signe de l’eau -, son dernier appartement romain, en plein quartier bâti par les fascistes, ou à la tour de Chia, ultime refuge de Pa’, non loin de Viterbe.
Chemin faisant, le narrateur nous parle de lui, de ses élans, de ses dégoûts, de ses révoltes. Et c’est cela qui touche le plus le lecteur. Un écrivain est né. J.-C. P.