C’est l’un de ces petits métiers oubliés, si l’on a jamais su qu’ils existaient : plongeur et pêcheur de moules. Pas n’importe où, en Alabama. Dans la chaleur de l’été 1979, c’est plus ou moins le métier de Cliff, d’Eddie, de Freddy, d’Alvin et de leur aîné et maître à tous, Johnny Ray. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes de ces "vitelloni" du sud profond, entre virées en bagnoles, whisky de contrebande et filles d’un soir, si Johnny Ray, que rien ne semblait pouvoir abattre, n’était victime d’un bête accident de plongée. Pour tous, ce sera la fin d’une époque et le début des ennuis. Pour Alvin, son "disciple" préféré, c’est plus que cela encore, un bouleversement complet. Alvin Lee Fuqua, 28 ans, ancien Mister Alabama, a des désirs culturistes de couronne nationale pour pouvoir faire ce dont chacun rêve : passer à la télé, jouer dans des films avec Burt Reynolds. Maintenant que Johnny Ray n’est plus là pour le guider, Alvin dévisse. Il prend des stéroïdes anabolisants, se met plus ou moins en ménage avec la veuve nymphomane de son défunt ami et doit gérer l’histoire d’amour naissante entre sa sœur anorexique et Cliff, entre autres tuiles. Bref, le monde est aussi déglingué que ceux qui le peuplent.
Cet univers de freaks, de tordus attachants, est celui, infiniment drôle autant que tendre, de Mister Alabama, le premier roman de Phillip Quinn Morris, la nouvelle découverte, après Olivier Bourdeaut, des décidément très avisées éditions Finitude. Morris, qui lui-même était pêcheur de moules en Alabama avant de se reconvertir en boucher, puis mécanicien et aujourd’hui peintre en bâtiment, l’a publié en 1989. Depuis un quart de siècle, après un second livre, il semble ne plus écrire, ou au moins être édité. C’est bien dommage tant cette "foire aux vanités" sudiste, comme écrite sous l’influence "hard boiled" d’un Jim Thompson ou d’un Harry Crews, est convaincante. Si rien ici ne se veut naturaliste, tout pourtant y sonne juste. Pas moyen de s’y tromper, cette voix est celle d’un écrivain.
Olivier Mony