Nuit de la lecture

La première nuit de la lecture a été mise en place de façon récente et nombreux étaient ceux qui faisaient preuve de scepticisme à son égard. « Encore une initiative qui tombe du ministère... ». Le délai était très court comme le souligne la responsable de la médiathèque de Saint-Michel-Chef-Chef : « on a reçu le 28 novembre, un mail du ministère de la culture… ». Et pourtant, cette idée de proposer des actions de mise en valeur de la lecture est loin d'avoir été boudée. La base Europresse recense 236 articles de presse nationale ou régionale qui lui ont été consacrée dans les 7 derniers jours. Les bibliothèques et médiathèques sont les premières engagées dans cette opération puisque 200 articles (parmi les 236) sur le sujet évoquent ces établissements. A quoi attribuer cet enthousiasme des professionnels (et des bénévoles car ils sont aussi très présents) ?

On peut bien sûr y voir à raison le dynamisme des bibliothécaires et leur souhait de donner une image vivante de leur métier et de leurs établissements. Conscients de la difficulté à capter l'attention de la population du fait des multiples sollicitations dont elle fait l'objet jusqu'à son domicile, ils ont acquis la conviction qu'il convient non seulement de se tourner vers les publics mais aussi de lui tendre la main.
Et l’inventivité est au rendez-vous. Lectures marathon, insolites et déambulatoires à Saint-Lô. Trio de musique improvisée à Bayonne. Contes africains à la médiathèque de Redon. Soirée jeux de société à Moulins. Quiz pour sériphiles à Tours. Lectures pour enfants en pyjama à Blanzat. Et bien sûr la convivialité n’est pas oubliée. On partagera la soupe à Saint-Herblain. On prendra l’apéro autour de la BD à la médiathèque de Vienne.

Un visage plus transgressif de la lecture

Les bibliothécaires s’emparent de la nuit et de sa capacité à introduire une forme de flou, de désordre et d’ivresse. La lecture est fortement associée aux enjeux scolaires et professionnels et tend à perdre son pouvoir d’évasion, de liberté et de critique. La nuit semble rebattre les cartes et offrir un visage plus transgressif à la lecture. Parce que le désir ne peut pas naître de l’ordre et de la raison, il s’agit de le susciter en troublant les repères ordinaires (de lieux, de temps, de personnes). C’est une condition pour atteindre les individus dans ce qui les compose de façon profonde. Ceux-ci contestent la capacité des statuts à les définir et affirment leur personne en mettant en scène une forme de distance aux rôles. Etre « gros lecteur » devient une menace sur sa personne chez les jeunes qui risquent d’être réduits à leur statut de bon élève sans consistance personnelle. Il faut rendre la lecture rebelle pour aider à son appropriation personnelle par les lecteurs.

Les bibliothèques se saisissent de cette opportunité pour engager cette démarche. Elles montrent ce faisant qu’elles cherchent à être en phase avec leurs publics. De façon paradoxale, c’est une initiative ministérielle qui leur permet de se désinstitutionnaliser. Et logiquement, il serait sans doute souhaitable que le ministère communique surtout à destination des bibliothèques mais pas trop à celle du grand public pour garder un plus large espace de transgression.

S’il est trop tôt pour savoir si cette première édition de la « nuit de la lecture » se révélera un succès auprès de la population, elle semble reposer sur une intuition juste. La lecture doit lutter à sa manière contre les discours convergents qui la promeuvent.
 
 
 

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