1er septembre > Premier roman France-Comores

L’anguille est un poisson aux allures de serpent. Elle préfère les eaux troubles à l’onde claire. Elle est agile et élusive. De quelqu’un qui vous échappe on dit qu’il est une anguille. Elle est interlope. Lorsqu’une affaire est louche on dit : il y a anguille sous roche. Justement le proverbe donne son titre au premier roman d’Ali Zamir, qui est narré, chanté par une voix féminine, nommée Anguille.

Le jeune auteur comorien signe un soliloque élégiaque : une unique phrase, véritable houle verbale qui vous emporte dans son flot - et flow, comme dans le rap : "Avez-vous déjà vu une anguille briser son silence, eh bien, je le fais parce que je ne suis rien maintenant quand on perd son antre on perd aussi son silence, donc sa vraie vie, avec tous ses secrets, cela est une évidence criante, je n’ai pas à vous faire une leçon de morale là-dessus, me voici devenue une minable apatride pour avoir été un sordide foutriquet, laissez-moi donc me déboutonner jusqu’au vertige du sommeil éternel."

Le phrasé est à la fois fluide et syncopé. Pour ponctuer, seules des virgules, et des retours à la ligne pour reprendre le souffle. Anguille raconte, avec l’urgence des désespérés que la vie abandonne, l’autre vie, l’ancienne, avec un grand V, à Mutsamudu, la communauté des pêcheurs de Mjihari dont son père, Connaît-Tout, sage universaliste illettré, est un insigne représentant. Anguille sous roche est le récit des tribulations de ceux qui prennent la mer mais aussi de la condition féminine dans la société patriarcale de ce coin de l’océan Indien. L’héroïne raconte comment elle, comme sa sœur jumelle Crotale, échappe à la surveillance du regard mâle, se laisse séduire par le beau Vorace. En cette rentrée littéraire cette Anguille électrique est résolument une bonne pêche. S. J. R.

03.06 2016

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