Dès les premières pages le lecteur est pris, surpris. Les lance-flammes emboîte les histoires. Dont celle d’une jeune femme "relativement grande" qui pratique la moto depuis son adolescence. Une fille de l’Ouest venue de Reno, Nevada, justement surnommée Reno. Celle-ci a une mère standardiste et un père absent depuis ses 3 ans, parti construire des cabanes en rondins en Equateur.
Au milieu des années 1970, Reno a pris le chemin de New York. Pas pour y tomber amoureuse, précise-elle. Ce qui est pourtant arrivé. Avant cela, il y a eu des nuits de beuveries et de hasards. Quand elle traînait avec une serveuse pulpeuse, Giddle, qui voulait devenir embaumeuse. Et pouvait lui lancer : "L’amour, c’est affreux. Ça gâche tout ce qui est normal. Ça gâche tout sauf l’amour. Ça vous rend dingue et pour rien, parce que c’est tellement décevant."
Un jour, Reno a rencontré Sandro Valera. Un artiste à succès de quatorze ans son aîné, homme aux yeux de loup qui fraye avec Ronnie Fontaine, autre artiste avec qui il a été gardien de nuit au Metropolitan Museum quand ils avaient 18 ans. Le nom de Valera, on le retrouve beaucoup dans Les lance-flammes. C’est aussi celui d’un personnage qui a grandi des années plus tôt à Alexandrie, lorsqu’il était un jeune lecteur des lettres de Flaubert épris d’une Marie. A l’époque, Valera a vite compris l’intérêt d’un bicycle à moteur à combustion.
Il est parti s’installer à Milan, la ville des tramways, et à Rome. Puis a croisé la petite bande d’artistes et de révolutionnaires qui flânaient au Caffe Aragno avec leur chef, Lonzi. Avant de faire la guerre, de s’en aller au Brésil et de fonder un empire… Déjà remarquée avec Télex de Cuba (Le Cherche Midi 2012, repris en Points), Rachel Kushner a été finaliste du National Book Award 2013 (battue par James McBride et The good lord bird) grâce à ce roman hautement fascinant qui rappelle les meilleures heures de Paul Auster.
L’Américaine parle d’art, de création, de révolution. Elle se montre aussi douée pour le flottement que pour l’électricité. On aime à la suivre dans un labyrinthe étrange. A la suite d’une héroïne pour qui le hasard possède "une espèce de logique absolue". Une Reno qui dérape à 225 km/h sur une moto Valera, mais devient ensuite la femme la plus rapide du monde à 496,492 km/h malgré une entorse. Une Reno qui estime que "le temps relaie un message essentiel par l’intermédiaire du visage et nous parle du temps. Le temps vous prend des choses. Mais son passage, les dégâts qu’il cause, c’est tout ce que nous avons. Sans lui, il n’y a rien."Al. F.