22 août > Roman France

Mourava, un hameau de Sibérie centrale, le long de l’Ienisseï, compte 63 habitants. Dont Vladimir Golovkine, le balayeur-nettoyeur-éboueur, 65 ans, un brave type qui, contrairement à ses concitoyens, est abstinent. S’il ne picole pas les divers alcools frelatés que l’on baptise abusivement, chez lui, « vodka », il ne crache pas, en revanche, sur une petite partie de dourak (« fou »), le poker local. De toute sa modeste existence, Vladimir n’a eu qu’un rêve : prendre un jour l’Alexander Matrosov, la patache qui relie Mourava à la civilisation, descendre le fleuve pour s’en aller finir à Krasnoïarsk, la métropole régionale. Mais pour ce faire, il lui faut un bon paquet de roubles, et ce n’est pas son maigre salaire qui lui permet ce genre de fantaisies. Aussi, le pauvre diable, lorsqu’il voit cogner à sa porte, un beau jour, un étranger à qui il propose illico le vivre et le couvert, se considère-t-il comme béni des dieux. Il va peut-être pouvoir être exaucé. Quitte à passer sur les bizarreries de son pensionnaire.

Celui-ci, c’est Colin Cherbaux (que Vladimir et les autres prononcent « Kolincherbo »), un tout petit Français ridicule, surnommé « Jivaro » durant toute sa triste jeunesse, lequel compense sa taille lilliputienne par une énergie à toute épreuve : musicien de concert à la carrière médiocre, il est réputé pour son toucher de « plantigrade » et tous les pianos qu’il a bousillés. Un peu comme Liszt, même si son compositeur de prédilection, à lui, c’est Rachmaninov. Excepté le concerto n° 2 en do mineur, durant l’exécution duquel la main droite de l’artiste se bloque. « Trouble fonctionnel. » Cherbaux a donc décidé de fuir la scoumoune en se réfugiant au bout du bout du monde, mais avec son instrument, objet d’un luxe inouï qui trône bientôt dans l’isba, plutôt rustique, de son hôte.

Et dont il joue. Sous le charme, les braves Sibériens (Vladimir, son cousin Sergueï, le poivrot, Sveta, l’herboriste-guérisseuse, et enfin Oleg, ancien cosmonaute devenu ermite mélomane) vont faire tout leur possible pour aider Kolincherbo, et peut-être le guérir. Qui sait ?

Olivier Bleys, lui, ne souffre d’aucun trouble fonctionnel de la main droite. Il enchaîne les romans à un rythme de stakhanoviste, avec la même imagination, la même fantaisie, les mêmes qualités stylistiques. Après Le maître de café, paru chez Albin Michel en 2012, vaste épopée empyreumatique italienne, voici une courte fable sibérienne, arrosée, sylvestre et fraternelle. Allegro. Il y est prouvé derechef que la musique adoucit les mœurs, même des plus rudes, que, malgré toutes leurs différences, des hommes de bonne volonté peuvent s’entraider, et que leurs rêves, même les plus fous, peuvent devenir réalité. Un vieux cantonnier sibérien peut ainsi partir pour la ville et un pianiste minable trouver enfin la sérénité et un public acquis à son seul talent. J.-C. P.

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