Roman/France 4 octobre Marion Muller-Colard

Marion Muller-Colard, théologienne protestante, auteure de livres de spiritualité - L'autre Dieu : la plainte, la menace et la grâce (Labor et fides, 2014, Albin Michel pour l'édition de poche), Le complexe d'Elie : politique et spiritualité (Labor et fides, 2016), L'intranquillité (Bayard, 2016) -, mais aussi de deux romans pour la jeunesse, et membre du Comité consultatif national d'éthique, incarne bien l'esprit de « Sygne », cette nouvelle collection inspirée du prénom de l'héroïne dans L'otage de Paul Claudel, le tout premier livre publié par Gallimard en 1911, et qui propose un espace à des voix venues d'autres horizons littéraires. Cette ancienne aumônière à l'hôpital, grande lectrice des Evangiles, l'inaugure avec sa première fiction « pour adulte », un texte âpre et déchirant, perturbant et d'une profonde humanité, qui plonge dans l'intimité de la douleur d'une mère dont le fils handicapé vient de mourir.

Depuis trente-sept ans, la vie de Sylvia tournait autour de Bastien, cet enfant totalement dépendant, sans mobilité et au regard sans lumière, ce « garçon bleu » asphyxié par le cordon ombilical, qui a eu le cerveau noyé à la naissance. Le nourrir, le laver, masser chaque jour son corps inerte, dormir la porte de la chambre ouverte pour entendre son sommeil..., ces soins, cette attention pratique de tous les jours, a donné à la mère le courage d'affronter le quotidien. Mais Sylvia est privée du « don des larmes ». Asséchée par d'autres malheurs que la mort de Bastien fait émerger, elle assiste sans larme et sans mots aux préparatifs de la messe d'enterrement que sa fille cadette a souhaité organiser. C'est une mère d'apparence insubmersible qui essaie de se maintenir au-dessus de la ligne de flottaison. Le deuil, elle le vit comme elle est : sans démonstration, retranchée en elle-même. « Les regards, les échanges humains, les doléances, l'intrusion permanente des choses à faire qui cognent à coups de bélier dans le noyau dur de l'âme, cet endroit de soi qui se passerait si volontiers de commentaires. » Bastien est mort, mais ça ne change rien puisqu'il l'était depuis le début, qu'il est « né dans un cercueil », pense cette mère tenue depuis toujours par le pragmatisme de la nécessité. Pourtant, dans les heures qui suivent, ce fils absent vit, dans le vide qu'il a laissé. « Jamais la nuit n'a paru si compacte, si lisse : aucune prise à laquelle s'accrocher pour se hisser vers le matin. »

Pendant ces premiers jours de deuil où la mère traverse « le temps bâtard qui ne s'arrête ni ne passe », une pluie torrentielle s'abat sur la basse Durance, inondant les berges de cette rivière
familière où elle emmenait son fils en fauteuil roulant pour des promenades matinales. Cette Durance qui est la
rivière de sa vie puisque Sylvia, née à
Savines dans les Hautes-Alpes, avait deux ans quand son village, 200 kilomètres en amont, a été englouti sous le lac du
barrage de Serre-Ponçon, la digue de béton géante construite au début des années 1960 pour maîtriser les crues de la Durance. Nourri de puissantes images, Le jour où la Durance accompagne la tension, la menace de débordement, l'archaïque sauvagerie des eaux vives. Ce flux de la rivière impossible à domestiquer, dans lequel on ne peut que consentir à se laisser porter, comme dans le cours chaotique, libre et imprévisible de l'amour maternel. 

Marion Muller-Colard
Le jour où la Durance
Gallimard
Tirage: 4000 ex
Prix: 18 EUR
ISBN: 9782072753008

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