Creusois discret, Jean-Marie Chevrier a choisi la Creuse pour cadre de son nouveau roman, son huitième chez Albin Michel depuis 1993, Madame. Mais pas une Creuse réelle, plutôt un topos, symbole de marge, de relégation hors du temps. Effet renforcé par la personnalité et par le mode de vie de l’héroïne, Antoinette de la Villonière, veuve d’Eudes, un alcoolique qui a péri noyé. Elle n’en finit pas de porter le deuil de leur fils, Corentin, mort à 14 ans sous ses yeux, dans une carrière du domaine où il faisait de la varappe. Depuis, Madame traîne sa solitude dans un château en ruine. A l’exception de la chambre de Corentin, sanctuaire inviolé. Pour seule compagnie, mais à peine, Madame tolère la vieille Alexandrine, infirme, à qui elle servira de garde-malade jusqu’à sa mort. Pour seule famille, son frère cadet, un parvenu, chirurgien monté travailler et s’enrichir à Paris. Il n’a aucun droit sur le domaine, mais rêve de ce qu’il pourrait en faire. Heureusement, ils se voient rarement.
Mais surtout, il y a Guillaume Berthier, que Madame a rebaptisé Willy, un petit paysan, le fils de ses rustiques fermiers - un père servile et fourbe, une mère revêche et jalouse. Willy est beau, vif, il est né le jour même de la mort de Corentin, et il va bientôt fêter son quatorzième anniversaire. Madame l’a dégrossi, cultivé, lui a fait découvrir la littérature, la poésie qu’elle lui fait apprendre par cœur et réciter sans cesse. Elle va même finir par l’adopter, lui permettre de réaménager à son goût la chambre de Corentin… Extrême bonté, folie, intentions criminelles ? Ou tout cela à la fois ?
Les parents Berthier, la mère surtout, s’inquiètent. Le lecteur aussi, qui pressent à cette histoire un dénouement tragique, forcément. Mais pas celui que Jean-Marie Chevrier a inventé. Madame est un roman superbe, hors des modes, écrit avec élégance, où la relation délirante entre les deux héros est contée avec un vrai sens de la mise en scène (l’auteur est aussi dramaturge) et de la narration. J.-C. P.
