Hell est une œuvre de la fratrie de plasticiens britanniques, Jake et Dinos Chapman : 60 000 petits soldats nazis mis en scène dans une gigantesque maquette de champ de bataille, digne des plus apocalyptiques visions de l'enfer. Les misères et malheurs de la guerre (1633) du graveur lorrain Jacques Callot, Les désastres de la guerre (1810-1815) de Goya, Guernica (1937) de Picasso... Si la brutalité du fer et les horreurs du front n'ont cessé d'animer la palette des artistes, elles n'ont pas moins insufflé la vie aux mots des poètes. De l'Iliade aux Mémoires de guerre d'un de Gaulle ou d'un Churchill, en passant par la Chanson de Roland, Les tragiques d'Agrippa d'Aubigné, Stendhal, Tolstoï, Céline... Pas tant Eros, le Désir, qu'Eris, la Discorde, fait jaillir l'étincelle de la littérature. Ainsi le pense Jean-Yves Jouannais, qui signe un nouveau livre : MOAB : épopée en 22 chants, véritable olni - objet littéraire non-identifié -, entre incantation et réflexion sur son thème de prédilection : la guerre.
Depuis 2008, Jouannais poursuit un cycle de conférences sur le sujet au Centre Pompidou à Paris, dont on fêtera les dix ans cet automne. Ces présentations de textes de littérature de guerre constituent son Encyclopédie des guerres. MOAB, acronyme de Mother of All Battles, « Mère de toutes les batailles », s'insère tel un volume dans ce projet titanesque, mêlant toutes formes de production littéraires belliqueuses, d'Homère à 1945, « date de la mort de
[s]on grand-père », ancien résistant, qui porta ensuite l'uniforme et mourut accidentellement noyé alors qu'il n'était pas en service... Un coup de dés jamais n'abolira le hasard de l'héroïsme.
Jouannais est loin d'être un faucon. L'essayiste d'Artistes sans œuvres, né en 1964, avait même été exempté du service militaire. Pour Jean-Yves Jouannais, la guerre est une esthétique, une poétique, l'expression du tragique de la vie, cette violence, l'irrémissible force « devant quoi la chair des hommes se rétracte » (Simone Weil). Force et farce, l'écrivain joue de l'ironie postmoderne, et ses textes foisonnent de références à peine dissimulées. On se souvient de La bibliothèque de Hans Reiter (Grasset, 2016), de ses clins d'œil à Bolaño ou à Kleist, du Borges qui aurait vu les Monty Python. MOAB tient également du thrène : lamentation sur tant de vies fauchées - héroïsme sans héros, ou bien nous le sommes tous. Dans ce vain combat contre la mort, tous les combattants sont des « combattus ».
Moab : épopée en 22 chants
Grasset
Tirage: 0
Prix: 19 EUR
ISBN: 9782246815952