Il est en colère Claude Hagège ! Le célèbre linguiste, ancien professeur au Collège de France, ne supporte plus la domination d'une langue - en l'occurrence l'anglo-américain - sur toutes les autres. Pour lui, elle est le véhicule des inégalités, du "mythe de la mondialisation" et la transmission d'une pensée unique au service du néolibéralisme.
Claude Hagège, qui a longtemps travaillé à mettre en évidence les propriétés communes des langues, montre ici ce qui les différencie. Il explique les relations qui se tissent entre l'homme et le langage, et plaide en faveur de la diversité : des cultures, des pensées et des langues. Cet Homme de paroles -titre de son ouvrage paru en 1985 chez Fayard - né en 1936, qui manipule une cinquantaine de langues, a souvent montré que l'histoire du français était l'histoire d'un combat. Hagège entre donc en guerre contre "la pensée molle" et les déclinologues. "Une des manifestations les plus voyantes de ce travail de sape des "élites" vassalisées est, en France, dirigée contre une institution capitale, à savoir l'école, et cela par la tentative d'anglicisation de l'enseignement, alors que la langue française est la substance même de la nation française, et que ce sont des mots français qui, en France, sous la monarchie, sous la Révolution, sous les deux Empires, sous la République, ont toujours constitué les vecteurs de programmes politiques innovants."
De l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant au XIe siècle à l'ère d'Internet, le savant fait observer les mutations du français et ses liens conflictuels avec l'anglais. "Posséder les mots et les diffuser, c'est posséder la pensée." Pourtant, Claude Hagège voit la domination de l'anglo-américain entamer une décroissance sous les effets néfastes du néolibéralisme et la contestation des peuples. "Il s'agit donc bien d'une pensée unique contre laquelle il est légitime de se battre, car c'est une pensée fondée sur l'argent seul, à supposer que cela puisse encore s'appeler pensée."
Dans tous les domaines, scientifique ou industriel, Hagège pointe un appauvrissement général lié à cette domination linguistique qui gomme les particularismes des peuples. Aucune langue ne peut prétendre à l'universalité. Prenons garde toutefois à ne pas jeter le bébé anglais avec l'eau du bain néolibéral. Les cultures anglaise et américaine ne se résument pas - heureusement - à la religion de l'argent et aux agences de notation.
L'essai enlevé de Claude Hagège a le mérite de souligner qu'une langue c'est aussi une culture, une mémoire, une façon de penser. Et ce qui passe chez l'une n'intéresse pas forcément l'autre. C'est pour cela qu'il y a des mots ou des expressions difficilement traduisibles d'un langage à un autre. Après l'engagé Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, voici le « Résistez ! » de Claude Hagège. C'est en tout cas un livre sur la langue qui devrait faire parler...