Gandhi, dont il ne partageait pourtant pas toutes les positions politiques ni n'approuvait tous les moyens d'action (par exemple l'ahimsa, la lutte non-violente), a dit de Rabindranath Tagore (1861-1941) qu'il était la « grande sentinelle de l'Inde ». L'écrivain, pour sa part, a salué le fondateur de l'Inde moderne du titre de mahatma, c'est-à-dire « grande âme ». Et c'est la première strophe d'un de ses chants, Jana Gana Mana, composé en 1911, qui a été choisie en 1950 par la toute jeune République indienne comme hymne national. C'est dire que dans son pays Rabindranath Tagore, le seul Indien à avoir reçu le prix Nobel de littérature (en 1913), est considéré comme un monument national, un symbole. On n'ose écrire une vache sacrée, mais il y a un peu de ça.
Né dans une riche famille de brahmanes bengalis de haute caste, soigneusement éduqué et initié à tous les arts (l'écriture, la poésie, mais aussi la musique, le chant, le dessin, la peinture), Tagore fut pionnier dans nombre de domaines. Par exemple les échanges culturels : grand voyageur, écrivain devenu mondialement célèbre, il rêvait d'une poésie qui unirait davantage l'Orient et l'Occident.
Précurseur du combat nationaliste, il s'engage dès 1892, contestant dans des articles un certain nombre de lois édictées par le colonisateur britannique. Et, en 1905, lorsque les Anglais, qui avaient décidé de séparer en deux (Ouest et Est) le trop turbulent Bengale, réprimeront dans le sang les manifestations de protestataires, Tagore, comme son ami Aurobindo Ghose (futur Sri Aurobindo), élèvera la voix. Il ira jusqu'à rendre le titre de chevalier que lui avait décerné la couronne britannique.
Vers la fin de sa vie, cet esprit curieux, en quête de sagesse et de sérénité, telles qu'il les pratiquait dans son domaine familial de Santiniketam transformé en université, s'était rapproché du bouddhisme.
L'œuvre de Tagore est immense, quelque 300 titres, et extrêmement diverse : romans, nouvelles, poèmes, théâtre, dessins etc. En France, on connaît surtout un livre, L'offrande lyrique (Gitanjali, en bengali), grâce à la superbe traduction de l'anglais qu'en a donnée et fait publier André Gide en 1913 à la NRF, sur les conseils de son ami Saint-John Perse, lui-même alerté à Londres par W. B. Yeats, lequel admirait profondément Tagore. Plus tard, Gide traduisit également The Postman, sous le titre Amal et la lettre du roi, une pièce de théâtre qui sera jouée au Vieux Colombier.
Le fort volume de « Quarto », composé par Saraju Gita Banerjee et Fabien Chartier, offre donc une excellente occasion au public français de (re)découvrir Tagore dans l'étendue de ses talents, chronologiquement, ainsi que des inédits, en particulier L'éducation du perroquet, un texte très critique sur l'éducation de son temps, telle qu'il l'avait subie. Tagore était avant tout un homme épris de liberté, pour qui l'épanouissement de l'âme était vital.
A noter : la parution, le 5 mars, chez Zulma, de Kabuliwallah, un recueil de nouvelles de Tagore traduites du bengali par Bee Formentelli.
Œuvres - Traductions de Saraju Gita Banerjee, Kamaleswar Bhattacharya, Christine Bossennec et al. - Edition présentée et annotée par Fabien Chartier - Préface de Saraju Gita Banerjee et de Fabien Chartier
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 31 euros ; 1 632 p.
ISBN: 9782072828287