On se souvient de son travail sur la cigarette, Histoire d’une allumeuse (Payot, 2010). Donc, après le tabac, l’alcool. Un café et l’addiction. Didier Nourrisson nous emporte sur les chemins de la cervoise gauloise contre le vin romain ou de l’absinthe qui a décimé une partie des poètes et des peintres au XIXe siècle. Car cette histoire du buveur, c’est bien sûr celle de la boisson : bière, vin, cidre et spiritueux se succèdent dans la recherche de l’ivresse et des profondeurs rabelaisiennes.
De la naissance de l’ivrogne au Moyen Age, où le vin se bonifie à l’ombre spirituelle des monastères, au buveur d’aujourd’hui qui « oscille désormais entre le cru et la cuite », c’est-à-dire entre le bec fin et le gosier en pente, l’historien, qui enseigne à l’université Claude-Bernard de Lyon, nous embarque dans une tournée des grands ducs sur près de deux mille ans. Il analyse les rituels, les consommateurs puis les consommatrices, la démocratisation, le boire paysan et le boire ouvrier, l’apparition de la cave individuelle chez les bourgeois, puis les délits de boisson dans les débits de boisson. Ainsi, dans son édit de 1536, François Ier préconisait « l’amputation d’oreille » aux récidivistes… De quoi faire passer la loi Evin pour un tract publicitaire !
Dans cette France au bistro, on croise dom Pérignon et son vin pétillant, le sieur Ramponneau, qui abreuve dans son cabaret les révolutionnaires de 1789, et ces Français qui acquièrent le droit de vote en même temps que le droit de boire dans une sorte de démocratie apéritive résumée par la formule : « La France compte certes beaucoup d’ivrognes ; heureusement elle n’a pas d’alcooliques. »
A partir du XIXe siècle, où l’hygiénisme et la morale s’imposent, ces derniers deviennent la cible de Clemenceau qui s’attaque aux bouilleurs de cru, puis de Mendès-France qui veut, un verre de lait à la main, dégriser une France toujours en tête des classements des picoleurs mondiaux. Le régime de Vichy, assez logiquement, prône les buveurs d’eau contre les poivrots.
Si les alcooliques sont anonymes, cette histoire nous montre que le verre est souvent solidaire. Mais cette histoire de la convivialité, c’est aussi celle des dégâts provoqués par le coup de trop, sur la route comme dans la vie. Socialement, le buveur fait peur. Parce qu’il est ailleurs. Violent ou planant, perdu dans les vapeurs d’alcool, blessé par les excès, incontrôlable. Le corps médical découvre, à la fin du XIXe siècle, qu’il faut le soigner. De cette intelligente, drôle, documentée et astucieuse histoire de la France qui trinque, on ne peut que conclure par la devise d’Antoine Blondin : remettez-nous ça !
Laurent Lemire