7 MARS - PREMIER ROMAN Grande-Bretagne

Francesca Segal- Photo DR/PLON

Adam Newman est le plus heureux des hommes. Ce jeune juif, très joli garçon, du quartier londonien d'Hampstead, issu d'un milieu assez orthodoxe, s'apprête à épouser Rachel, sa petite amie depuis l'adolescence (à un ou deux épisodes près, auxquels il n'accorde guère de signification). Orphelin de père depuis l'enfance, il trouve dans la famille de sa future femme, et notamment auprès de son beau-père qui l'a appelé à travailler à ses côtés malgré son relatif conformisme, la quiétude, l'appétence au bonheur, qui peut lui promettre des lendemains qui chantent. Sa vie semble destinée à se dérouler sans accrocs, entre virées au pub avec ses amis d'enfance et de l'université, soutien enthousiaste à l'équipe de foot d'Arsenal, soirées pour des comités de bienfaisance juifs, vacances en Israël et réjouissances familiales. Seulement voilà, si Adam est un garçon sérieux, il l'est désespérément. Ellie, 22 ans, la cousine de Rachel, mannequin et actrice à la réputation sulfureuse (un rôle dans un film érotique "d'art et d'essai", une fâcheuse tendance à la scarification, une liaison adultère à Manhattan avec un riche et célèbre marchand d'art qui l'a obligée à quitter précipitamment New York pour Londres), Ellie qui ne sait faire autrement que de donner à chaque homme qui passe le désir de la protéger, va se charger plus ou moins volontairement de bousculer les certitudes trop établies d'Adam. Ce dont le jeune homme peu à peu va se défaire, au prix de mille contorsions et d'au moins autant de souffrances morales, c'est de son innocence, de son épouvantable certitude de sa présence au monde.

Cet argument classique de récit de formation, c'est celui du Temps de l'innocence, le chef-d'oeuvre d'Edith Wharton. Avec son premier roman, Les innocents, Francesca Segal ne se cache pas d'avoir voulu en écrire un remake, à près de cent ans et une communauté de distance... C'est une éclatante réussite, une de plus à porter au crédit de la collection "Feux croisés" chez Plon, dont il faut saluer le dynamisme sur le front des lettres anglophones contemporaines. S'éloignant de son projet initial sans le perdre jamais de vue, Segal fait pencher la balance de son récit du côté de la comédie de moeurs, tragiquement drôle comme il convient. Si le livre fut salué à sa sortie par nombre de ses confrères, d'André Aciman à Stephen McCauley en passant par Lauren Groff ou Esther Freud, à le lire on songerait plutôt au Robert Cohen d'Ici et maintenant (Joëlle Losfeld, 2009) ou même aux premiers romans de Jonathan Coe. Depuis combien de temps n'avait-on rien lu d'aussi subtil sur la pression que fait subir la communauté à l'individu et combien aussi la générosité, la bienveillance sont parfois les pires d'entre elles ? Francesca Segal, fille de feu Erich Segal, a peut-être de qui tenir.

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