Petite, son père lui jetait des pièces dans le bassin de la piscine afin qu’elle aille les pêcher et apprenne à nager. "Depuis, raconte la narratrice de Dans l’eau je suis chez moi d’Aliona Gloukhova, je nage toujours lesyeux ouverts […]."
Le milieu aquatique est l’élément naturel, essentiel de "Lenka", dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est un vrai petit pingouin. Dans cette famille moyenne de Biélorussie (d’avant la chute du mur de Berlin), un autre liquide domine, et qui est l’élément de papa : l’alcool. Cette force de la nature, aux cheveux et à la barbe grise et à l’allure bonhomme, fait des crises de "dipsomanie" : il boit à en perdre la raison des jours entiers. Sans doute souhaite-t-il perdre la raison, les raisons de son inadaptation au monde : son échec professionnel (il n’avait jamais été nommé directeur de son laboratoire), le deuil d’un fils de 8 ans qu’il avait eu avant de se marier avec la mère d’Aliona et d’avoir d’autres enfants… Il se noie dans l’alcool.
Et un jour de novembre 1995, alors que la narratrice a 11 ans, il se noie vraiment. Disparaît en mer, au large de la Turquie, lors d’une virée en bateau avec des copains. Les autres sont rescapés. Lui, rien, on ne retrouve pas le corps. La vie de la famille bascule, l’appartement qu’ils occupaient à Minsk est vendu, c’est la crise.
Mais la vie continue. Sans. "A disparu" sont les mots mystérieux, pleins de précaires espérances virevoltant dans la tête de l’enfant et de la future adulte qui remplira ce vide par d’autres mots, une enquête sur celui que fut ce père évanoui sans crier gare. Un premier roman, beau et juste. S. J. R.