« Chaque homme est fait pour son époque, dès lors qu'il ne cherche pas à échapper à ses tumultes. » Anton aspire à s'éloigner du no man's land sibérien qui l'a vu grandir. Direction Moscou. « Je crois que je cherche une place. Ma place dans la vie. Personne ne m'a enseigné comment y parvenir. » Il y est recueilli par son oncle Iouri, le frère jumeau de son père. Ambitieux, il a gravi les échelons du KGB. Il « aime le pouvoir, ses intrigues, son théâtre, sa dramaturgie, ses jeux secrets, ses stratégies et ses pièges ». On retrouve tous ces ingrédients dans le second roman d'Olivier Rogez, grand reporter à RFI. Si le premier - L'ivresse du sergent Dida - sondait les arcanes africains, celui-ci plonge dans l'Union soviétique, peu avant son démantèlement. En cette année 1989, le mur de Berlin se brise. « Ce siècle est déjà condamné par l'histoire, c'est un siècle maudit. Ce pays est une punition... Mais c'est le seul que nous avons. » Dans « cet ogre politique », Gorbatchev et Eltsine se livrent à un duel. Un glissement s'opère sur fond de désillusions et d'espoirs. « Le mot liberté implique un long apprentissage. Parfois, il faut détruire pour mieux reconstruire. » Iouri est aux premières loges de ce mouvement.
« L'URSS veut faire croire qu'elle possède le don de se métamorphoser », mais la réalité se révèle plus nuancée. Il en va de même du cœur humain. Celui de Iouri est pris par l'artiste Helena, une femme indépendante qui l'entraîne dans un tourbillon d'émotions, noircies par l'oligarchie. Un jeu de pouvoirs et de miroirs qui n'entache pas Anton. Ce « garçon sensible au visage d'ange » est devenu le « gourou de la jeunesse underground moscovite ». L'ardeur de ce rêveur séduit la prophétique Aliona. « Une révolution démocratique est en marche, rien ne l'arrêtera. » Iouri se montre sceptique. « Perdu, il souffre pour son pays, pour son destin et pour lui-même... » Seule Anastasia, une veuve précaire, veille sur lui. « La verticale du pouvoir nie toute humanité aux échelons inférieurs. Elle étouffe l'imagination, la créativité, l'initiative. » Olivier Rogez les ravive à la force de son lyrisme. Sa brillante analyse politique, sociologique et psychologique vaut tant pour la Russie que pour d'autres pays. Mais ce roman combine surtout la tragédie à la Dostoïevski à l'humanisme d'Oulitskaïa. « Le peuple russe va devoir partir en exil à l'intérieur de lui-même pour retrouver sa foi et se ressourcer. Les temps nouveaux appellent des hommes nouveaux. » Vivement qu'ils s'éveillent...
Les hommes incertains
le Passage
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19.5 euros ; 392 p.
ISBN: 9782847424195