On connaît l’histoire de Suite française. Manuscrit miraculeusement préservé par la fille aînée d’Irène Némirovsky, Denise Epstein, après la déportation de l’écrivaine et sa mort à Auschwitz en 1942, il comprend les deux premiers volets, Tempête en juin et Dolce, d’un ambitieux projet littéraire visant à raconter, sur cinq volumes, la guerre en temps réel. Publié en 2004 par Denoël, notamment mis en lumière par Daniel Garcia dans Livres Hebdo, il vaut à son auteure, à titre posthume, le prix Renaudot et, traduit dans 38 langues, rencontre un succès mondial.

Tandis que Saul Dibb a adapté au cinéma l’intimiste Dolce, avec Matthias Schoenaerts, Kristin Scott Thomas, Michelle Williams et Lambert Wilson (sortie en France le 11 février sous le titre Suite française), Emmanuel Moynot transpose en bande dessinée le spectaculaire Tempête en juin. Ce ballet brillant entrecroise dans un style sobre et acéré les trajectoires d’une trentaine de personnages plus ou moins sympathiques, généreux, égoïstes, mesquins ou exaltés, perdus à Paris ou sur les routes de France dans la débâcle de 1940. Il campe avec finesse des caractères, au plus près de leurs réactions à la catastrophe, en même temps qu’il dessine par leur truchement une vaste fresque sur l’époque.

Le dessinateur, qui alterne des projets personnels et des adaptations d’aventures de Nestor Burma, de Léo Malet (Casterman), restitue avec brio la démarche de l’écrivaine. Avec un trait nerveux et des portraits bien sentis, il accompagne les préparatifs de départ de la famille Péricand, bientôt écartelée entre le fils abbé qui se dirige naïvement vers un destin tragique et le cadet qui rêve d’un destin héroïque ; il suit les mésaventures du couple Michaud avec leur employeur ou l’exode rocambolesque du déplaisant écrivain Gabriel Corte. Humour souvent noir, tragédie, émotion, Emmanuel Moynot saute avec entrain d’un chapitre à l’autre pour livrer des croquis comme pris sur le vif et recomposer graphiquement la comédie humaine conçue par Irène Némirovsky. Fabrice Piault