6 février > BD Japon

Après L’enfant (voir LH 923, du 28.9.2012, p. 68) et l’édifiant Survivant, voici le 3e et dernier volume de la fabuleuse Vie de Mizuki. Sous le titre en trompe-l’œil de L’apprenti, le virtuose dessinateur de mangas japonais, né en 1922 et donc aujourd’hui âgé de 91 ans, balaie les quelque quarante ans de carrière qui ont fait de lui une des figures majeures de son art.

Au retour de Nouvelle-Guinée où il a vécu l’enfer de la guerre du Pacifique et perdu son bras gauche, Shigeru Mizuki traverse d’abord dans le Japon meurtri de l’après-guerre un long temps de vaches maigres jusqu’à la fin des années 1950. Avant même celui de Yoshihiro Tatsumi dans Une vie dans les marges (LH 880, du 7.10.2011, p. 81), il apporte un témoignage poignant sur les conditions dramatiques de vie et de travail de mangakas réduits à la misère et quasiment à l’esclavage par des éditeurs souvent peu scrupuleux qui enchaînent les faillites.

Avec le redressement de l’économie japonaise, sa situation s’améliore cependant. Au début des années 1960, où affluent notamment les commandes du grand éditeur Kodansha, il peut faire travailler jusqu’à sept ou huit assistants, dont le génial mais dépressif Yoshiharu Tsuge. Mais si l’argent rentre, Mizuki doit gérer à la fois la pression des éditeurs et une équipe hétérogène qu’il doit aussi loger. Il bascule dans le surmenage, qu’il restitue avec la même autodérision que les horreurs de la guerre. Il faut le voir lancer pas moins de onze chantiers transformant sa maison en un véritable labyrinthe sans cesse ébranlé par le fracas évocateur des canalisations de WC, s’égarer dans des ruelles sombres pour éviter d’affronter un éditeur mécontent de ses retards ou s’empiffrer pathologiquement.

Shigeru Mizuki trouve toutefois son salut dans un apprentissage jamais achevé - justifiant sans doute le titre L’apprenti - des mœurs des «yôkai », ces êtres surnaturels dont il est devenu un des plus grands spécialistes au Japon jusqu’à leur consacrer un dictionnaire (Yôkai, dictionnaire des monstres japonais, Pika, 2008). Vingt ans après avoir quitté la Nouvelle-Guinée, il va y retourner à de multiples reprises pour y retrouver les indigènes qui l’ont sauvé, mais aussi pour tenter d’y comprendre à travers les yôkai, qu’il ira aussi traquer au Mexique, les mystères de l’au-delà. Un univers qu’il a côtoyé très jeune, dans ses années de guerre, sans jamais parvenir à le saisir complètement.

Fabrice Piault

Les dernières
actualités