Elles se définissent comme des « chasseuses ». Les éditrices du pôle pratique de Leduc.s traquent sans discontinuer les tendances émergentes, à l'affût de nouveaux auteurs. « Il faut toujours innover dans notre secteur éditorial, nous sommes stimulées par la volatilité des -sujets », confirme Sophie Rouanet, -directrice éditoriale du pôle pratique de la -filiale d'Albin Michel.
Avec trois éditrices, elle est sur tous les fronts pour flairer les évolutions du quotidien. Son équipe trouve l'inspiration dans une boutique de déco, un magasin Nature et découverte, un concept store, un salon spécialisé, lors d'un cycle de conférences ou d'un festival à l'esprit ésotérique... aussi bien qu'en scrutant les listes de meilleures ventes, les plateformes d'autoédition et de diffusion de podcasts.
De l'avis général, la chasse aux auteurs s'est accélérée il y a trois ans. Aujourd'hui chez Eyrolles, Joanne Mirailles se souvient encore de ses débuts dans l'édition pratique, quand la presse, la réception de manuscrits et la production étrangère représentaient les principales sources d'information du secteur. « Outre la presse, nous épluchions toutes les semaines la liste des 300 meilleures ventes GFK. L'objectif était de repérer les thématiques tendance afin d'envisager une déclinaison à notre manière, incarnée par un auteur légitime dans son domaine », explique cette responsable de secteur, chargée des secteurs bien-être/santé, développement personnel et parenting. « Aujourd'hui, les médias arrivent trop tard, poursuit-elle. Les auteurs sont déjà connus du milieu lorsqu'ils collaborent avec des magazines comme Happiness ou Psychologie Magazine. »
« Bardés d'outils numériques », comme le dit Charlène Guinoiseau, la directrice éditoriale de Jouvence, les éditeurs actionnent cinq leviers principaux pour repérer et publier de futurs auteurs à succès.
1. Explorer les réseaux sociaux
Marie-Anne Jost-Kotik, directrice du pôle pratique chez First, a pris l'habitude de donner des usages différents à chaque réseau social. « Sur Twitter, je guette des thématiques qui font le buzz alors que sur LinkedIn, je me renseigne sur les profils des auteurs-experts. Sur Instagram, je recherche un public plus féminin. » Sur Instagram, Sophie Rouanet et ses collègues scrutent aussi les commentaires laissés sous les posts des influenceurs français, à la recherche d'un inconnu à fort potentiel. Elles se démènent pour être les premières, conscientes de la concurrence acharnée qui se joue entre maisons d'édition. « Je passe en moyenne deux heures par jour sur Instagram, affirme Charlène Guinoiseau. J'ai un compte caché depuis lequel je guette les thématiques tendance. Je suis abonnée à plusieurs hashtags ainsi qu'aux influenceurs français. J'utilise la messagerie pour échanger avec les auteurs étrangers, cela fluidifie nos échanges, les rend aussi plus spontanés et amicaux. » Isabelle Dubois, responsable de la non-fiction au Livre de poche, se laisse guider par les suggestions de l'application, où des nouveaux comptes surgissent, créés par des anonymes désireux de fédérer une communauté autour d'eux. C'est ainsi qu'elle est tombée fin 2018 sur Coline Charpentier, auteure de T'as pensé à... : Guide d'autodéfense sur la charge mentale (janvier 2020). « Je l'ai contactée rapidement pour lui proposer une collaboration alors qu'elle ne comptait qu'une poignée de followers », explique l'éditrice. Si elle s'est dépêchée, « c'est parce que j'ai vite remarqué qu'elle parvenait à rassembler une communauté autour d'une question qui n'était pas encore abordée à l'époque ». Elle ne s'est pas trompée : Coline Charpentier est aujourd'hui suivie par plus de 110 000 personnes.
Si la prospection sur les réseaux sociaux a provoqué une déferlante de livres pratique signés par des influenceurs, aujourd'hui les éditeurs affinent leurs techniques de recrutement. « Les influenceurs ont symbolisé une nouvelle fraîcheur, note Sophie Rouanet chez Leduc.s. Cependant, nous ne pouvons plus nous limiter à transposer leur univers sur un livre. Dans un segment encombré comme le nôtre, nous recherchons la plume. »
2. Encourager la cooptation entre auteurs
Plusieurs éditeurs s'efforcent de créer « un cercle vertueux » par cooptation. « Je m'appuie sur mes auteurs pour rencontrer d'autres experts susceptibles de travailler pour nous », explique Joanne Mirailles. Elle cite l'exemple du lien tissé entre Isabelle Pailleau, coauteure du best-seller Eyrolles, Apprendre autrement avec la pédagogie positive (2013), Marie Caiazzo et Lucie Maillet. En avril, elles cosignent Branche tes cerveaux ! Aider son enfant à être concentré et détendu pour qu'il apprenne facilement et sans stress ! Marie-Anne Jost-Kotick parle elle de « familles d'affinités » : les auteurs qui s'intéressent à un phénomène sont susceptibles de connaître des experts de tendances connexes et de les lui présenter.
3. Mobiliser l'entourage
Chez Actes Sud, Sylvie Fenczak, éditrice en sciences humaines chargée notamment de la collection « Questions de santé », s'ingénie à transmettre « des connaissances de première main, à trouver des spécialistes dont les recherches et la pratique médicale font avancer un domaine ». Quand une de ses amies qui avait des problèmes d'ongles lui a vanté les mérites de sa dermatologue tentée par l'écriture, Sylvie Fenczak a tout de suite accepté de rencontrer la praticienne. A l'arrivée, Les ongles, tout un monde... : comment les guérir et les embellir de la dermatologue Sophie Goettmann, est un de ses enjeux du printemps 2020.
4. Mettre le prix
Chez J'ai lu, la responsable éditoriale Pratique, Dorothée de Rothschild, se félicite du soutien financier apporté ces dernières années par sa maison mère, Flammarion, consciente des enjeux. Parmi ses plus belles acquisitions, Trois amis en quête de sagesse de Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard, initialement paru à l'Iconoclaste. Des transferts ont aussi animé la vie du pratique. Le dernier en date : celui du docteur Frédéric Saldmann, un habitué des meilleures ventes. Le spécialiste en nutrition et hygiène de vie a quitté Albin Michel pour Plon où il a publié le 30 janvier sa nouveauté, On n'est jamais mieux soigné que par soi-même.
5. Faire appel à des scouts
Le repérage de tendances bien-être à l'étranger s'est aussi intensifié ces dernières années. Les grandes foires internationales demeurent incontournables. C'est à Francfort que Catherine Meyer, directrice éditoriale aux Arènes et à l'Iconoclaste, est tombée sous le charme de la méthode de méditation d'une certaine Eline Snel : « Elle était tellement efficace que le ministère de l'Éducation nationale des Pays-Bas avait proposé aux enseignants de rembourser leur formation à la méditation », raconte l'éditrice. Il s'agissait de Calme et attentif comme une grenouille, devenue un phénomène en 2017.
Aujourd'hui, les éditeurs n'hésitent plus à renforcer leur équipe de scouting. « Il y a une prime à celui qui trouve en premier le sujet et l'auteur qui vont cartonner », souligne Marie-Anne Jost-Kotik, heureuse éditrice avec Charlène Guinoiseau de La magie du rangement de Marie Kondo. Egalement chez First, elle a publié d'autres phénomènes des ventes comme Miracle Morning d'Hal Elrod (2016) ou Le livre du hygge de Meik Wiking (2017). Des livres dont les droits ont été achetés au cours d'enchères entre plusieurs éditeurs.
« Nous mettons toutes nos chances de notre côté pour que le livre fasse la différence au moment de sa sortie, mais le succès n'est jamais acquis », prévient l'éditrice. Elle rappelle le cas de Shinrin Yoku du Dr Qi Ling. Remporté par First à la foire de Francfort en 2017, il était le livre de référence sur « l'art et la science du bain de forêt » à la japonaise. Les éditeurs français se sont précipités sur le sujet et ont acquis d'autres livres sur la thématique. L'arrivée en trombe de ces ouvrages aux titres similaires a créé un effet de saturation et de confusion en librairie : aucun n'a décollé.
À la recherche de « l'harmonie parfaite entre un auteur et un illustrateur »
Lorsqu'on évoque Le charme discret de l'intestin une image apparaît, celle de sa couverture bleue avec un bonhomme noir au ventre ballonné. Conçue par la sœur de Giulia Enders, Jill Enders, elle « rend compte de l'univers des deux jeunes femmes », raconte l'éditrice du livre chez Actes Sud, Martina Wachendorff. C'est extrêmement rare, donc précieux, de tomber sur l'harmonie parfaite entre un auteur et un illustrateur. » L'éditeur s'est logiquement réjoui d'une nouvelle collaboration avec Jill Enders, à la faveur de la sortie du livre de Dr Michael Nels, Guérir de l'Alzheimer (2018). « Nous rêvons tous de créer cette connivence entre un auteur et un illustrateur. Cela permet de marquer la différence », observe Marion Guillemet, directrice éditoriale adjointe de Solar. Cette maison d'Editis publie de nombreux romans graphiques autour des questions de société. L'un de ses enjeux de ce début d'année, Pervers narcissiques, d'Anne-Clotilde Ziégler, est illustré par Margaux Reinaudo aka Gomargu sur Instagram, où elle est suivie par plus de 18 000 personnes. « Instagram a encouragé de nombreux dessinateurs à ouvrir leur compte, pointe Marion Guillemet. Cela nous a permis d'envisager de nouvelles collaborations même si là aussi, la concurrence entre éditeurs est forte ». Parmi les illustratrices les plus connues se trouve Mathilde Virfollet aka Mathou. Suivie par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux, celle qu'on surnomme « l'illustratrice aux dessins qui font du bien » est courtisée par les éditeurs de l'univers pratique depuis 2016. Elle a déjà collaboré avec une petite dizaine de maisons dont First, Delcourt et Leduc.s. « Les illustrateurs ont aussi de plus en plus d'exigences artistiques et refusent des projets, souligne Marion Guillemet. Qu'il s'agisse de l'épaisseur des traits, du travail en noir et blanc ou de la relation avec l'auteur, ils ont leur mot à dire. » Dans ce contexte, l'éditeur tâche aussi de repérer le dessinateur en fonction du public auquel va s'adresser le livre. « Ses traits vont susciter des émotions chez tel public ou telle génération », note Marion Guillemet. Cette familiarité, c'était l'effet recherché par les Arènes pour l'adaptation en français de Calme et attentif comme une grenouille, d'Eline Snel. Pour sa première édition en 2012, le livre présentait une préface de Christophe André et une couverture illustrée par Marc Boutavant, dessinateur de la série Ariol. « La méditation pour les enfants n'était pas une méthode connue à l'époque, raconte Catherine Meyer. Cela pouvait être perçu comme une pratique bizarre. Voilà pourquoi, nous avons demandé à Marc Boutavant de dessiner une petite fille avec les yeux ouverts. C'était plus rassurant comme cela ! » W