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Enquête : comment relancer le marché du livre pratique ?

Livres pratiques - Photo Olivier Dion

Enquête : comment relancer le marché du livre pratique ?

Malgré une baisse des ventes de 18 % en 2023, le marché du livre pratique cherche à se relancer. De la diversification de leur catalogue à la réduction de leur production en passant par le renforcement de leur politique d'auteurs, les éditeurs repensent leur stratégie.

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Par Antoine Masset
Créé le 06.12.2024 à 14h07

Entre 2022 et 2023, le marché du livre pratique a enregistré une baisse de 18,40% en chiffre d’affaires (équivalent à 8 millions d’euros) et une baisse de 17,96% en volumes soit 500 000 exemplaires en moins. Tous les segments sont touchés : développement personnel, cuisine, jardin ou encore santé. Loin de l'année faste 2021, le secteur doit aujourd'hui se relancer. « Le marché s’est bien porté pendant le Covid car il permettait de sortir (click and collect) et le pratique répondait au besoin d’autonomisation des savoir-faire autour de la maison », se souvient Élisabeth Pegeon, directrice éditoriale chez Rustica, maison d’édition pratique spécialisée dans le jardin, les animaux, et la nature.

L'édition pratique fait également face à la concurrence des plateformes numériques comme Instagram ou YouTube qui proposent quantités de contenus gratuits, et souvent de grande qualité.

Comment les maisons d’édition adaptent-elles leur offre ? En innovant, affirme Charlène Guinoiseau-Ferré, co-directrice des éditions Jouvence : « Un marché en baisse est intéressant, souligne-t-elle. On doit se remettre en question, cela stimule notre créativité pour trouver des nouveautés. C’est notre métier d’éditeur finalement. »

Des experts à communauté

Les éditeurs sont nombreux à se tourner vers des personnalités et de nouvelles voix pour toucher un public plus large et nouveau. C’est le cas chez Solar dans la catégorie cuisine avec Laurent Mariotte, classé 8e des ventes 2023 en pratique grâce aux 60 000 exemplaires de Je cuisine avec 3 ingrédients pour 3 fois rien !. Solar publie également des experts dans leur domaine comme Michel Cymès en santé et Jérémie Sellam, spécialiste de l’arthrose. « On cherche aussi à raconter des histoires dans le pratique, comme avec un carnet de cuisine iranienne entre un père et un fils », raconte Didier Férat, directeur de Solar. Une maison qui ne subit pas la tendance avec une hausse de 28 % de chiffre d'affaires en cuisine. « Nous faisons attention aux astuces économiques, à la proximité, à l’environnement, tout en donnant la parole à des personnalités et des influenceurs qui ramènent du public. »

Même son de cloche chez First éditions : « Notre politique auteur n’est pas que de l’image, mais aussi du message avec des experts à communauté », acquiesce Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale de First. Elle s’appuie sur des auteurs et influenceurs pour trouver de nouveaux axes de croissance malgré une actuelle forte baisse du développement personnel : -7,8% d’avril 2023 à mars 2024 par rapport à la période précédente. « Il y a des auteurs qui nous sauvent comme Fabien Olicard avec 2 livres cette année, Matou en loisir, et Mounir Laggoune dans la finance personnelle. Ils nous donnent de l’air avec 2 000 ventes/semaine chacun en sortie de caisse. »

Les auteurs phares

Autre bouffée d’oxygène pour First, ses livres de fonds avec la collection étendard « Les Nuls ». Une « maison dans la maison » qui représente 27 % du chiffre d’affaires de First, les trois quarts des résultats des Nuls provenant de ventes du fonds.

Chez Jouvence, maison d’édition de livre pratique avec une forte couleur sur le développement personnel, on compte aussi beaucoup sur un auteur phare comme Miguel Ruiz et ses fameux Quatre accords de Toltèques, leader incontesté du pratique depuis plusieurs années avec près de 170 000 ventes en 2023 (une différence de 28 000 exemplaires avec son dauphin Les 5 blessures qui empêchent d'être soi-même de Lise Bourbeau chez Pocket). La maison d’édition s’applique à le moderniser avec des rééditions, malgré une légère érosion du titre.

Lire aussi : Le marché du développement personnel en quête de sens

Autre tendance notable, les maisons d'édition développent moins de collections, préférant se concentrer sur des ouvrages one-shot et du sur-mesure. C’est le cas de Robert Laffont, éditeur généraliste qui n’a pas de collection pratique mais reste présent grâce à son autrice Jessie Inchauspé, et son agente Susanna Lea, avec deux titres dans le top 10 des ventes 2023 (9e et 5e) atteignant 140 000 ventes cumulées. « On ne cherche pas des sujets mais on construit des auteurs qui ont plusieurs livres sous le coude, et un contrat de confiance avec le public, explique Sophie Rouanet, directrice éditoriale chez Robert Laffont. Nous privilégions l’expertise d’un auteur plutôt que de se sentir obligé de remplir une collection. Nous y allons au coup de cœur et surtout pas avec un nombre de livres précis promis à l’avance. Cette méthode est d’ailleurs appréciée des libraires. » L’autrice a émergé chez Robert Laffont durant le creux de la vague du pratique juste après 2021, une aubaine pour la maison d’édition.

La fin des collections

Dans la lignée de la collection qui s’efface pour du sur-mesure, le livre pratique est passé d’un marché industriel à un marché de l’artisanat. Les collections ont tendance à s'effacer derrière le poids des auteurs. Le marché doit aussi s’adapter aux saisons et à la période de Noël, moment clé de l’année : « Le livre pratique doit être attrayant, être un livre-objet, un livre-cadeau. Il appartient au secteur du pratique de s’adapter au marché et de faire du livre pratique un objet désirable », appuie Didier Férat, chez Solar. La cuisine représente 4,3 millions d’exemplaires vendus par an, dont une majeure partie entre octobre et décembre.

Répartir et réduire

La bonne santé du livre pratique varie selon les secteurs, ce qui pousse les éditeurs à adapter leur production en conséquence. « Quand un rayon ne marche pas, on va appuyer sur un autre, présente Joanne Mirailles, directrice éditoriale chez Eyrolles. Nous avons baissé d’un tiers la production de livres d'ésotérisme pour augmenter d’un tiers le santé/bien-être qui lui, se porte bien mieux chez nous avec une hausse de 12,5 % depuis le début d’année. Il faut davantage investir sur des projets portés par le marché. Moins de parenting, en baisse de 7 %, mais plus de parascolaire. » Avec une maison d’édition polyvalente et présente dans tout les domaines, Eyrolles peut se permettre d'investir sur les secteurs qui fonctionnent le mieux. L'éditeur signale aussi la progression des livres de poche et des petits prix.

La rationalisation de l'offre passe aussi par une réduction de la production, comme chez First depuis trois ans : -10 % de parutions en 2024 et -7 % envisagés en 2025 pour un prix moyen qui augmente légèrement à l’image du marché (+ 50 centimes).

Pas de côté

De son côté, Jouvence étale la réduction de sa production en créant de nouveaux projets et maisons comme Le soir venu et Château d’âmes. « Il y a eu 110 nouveautés en 2024, c’est 20 de moins que l’année précédente, partage Charlène Guinoiseau-Ferré. On se lance dans le roman grand public avec une veine psychologique et des personnages qui créent des ponts avec le reste du catalogue. Ces nouveaux projets sont un pas de côté pour mettre en lumière des titres qui se vendraient moins chez Jouvence. »

Certaines maisons sont moins généralistes et très spécialisées comme Rustica pour la nature et le jardinage. L'éditeur signale une année difficile pour le secteur, notamment à cause de mauvaises conditions climatiques rendant les activités extérieures complexes. « Il y a toujours des mouvements de marché, des offres d’autres niches pour amortir comme le loisir, créatif, bien-être, et les animaux, assure Élisabeth Pegeon. Rustica ne réduira pas l’offre de jardin. Avec les conditions climatiques, on compte sur une frustration et l’espoir d’un effet rebond. On est toujours en train de chercher l’angle qui va séduire le public. »

Dans un marché du livre pratique en recul, les éditeurs ne manquent pas d’idées et de stratégies pour se stabiliser et remonter la pente, séduire un nouveau public et appuyer sur leurs forces.

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