La préparation de la vie s’ouvre sur une femme à la recherche de nouvelles lumières. Il y a encore un coup de fil reçu sur son portable, une phrase de Nietzsche, un manège à la Nation. Et voilà tout d’un coup que Colette Fellous se met à dérouler cette aventure qu’elle appelle son histoire. En essayant de rester au plus près de sa mémoire, "sans chichis".
L’occasion de se souvenir de la jeune fille de 21 ans qui lisait la revue Tel quel dans un café de "Babylone". Une Colette croisant alors un homme très élégant, au visage un peu carré et portant un imperméable à la manière d’Humphrey Bogart. Sam, Américain de passage, au beau sourire et à la légère tristesse, l’invitait aussitôt à venir à Washington.
La demoiselle qui préparait une thèse sur Georges Bataille habitait rue Lepic où elle s’était installée avec J.-B. Washington. Elle ne devait y séjourner que trois jours et en repartir en laissant les lumières du salon allumées, pas vraiment prête à épouser les idées de Sam quant à leur avenir commun. Le grand moment de ces années-là, elle le doit à un autre homme dont les lettres étaient signées à l’encre bleue.
A un certain Roland Barthes. Son "guide vagabond" qui l’a poussée à "écrire et à dire je" dans un "petit café jaune de l’Odéon". Un jour de l’année 1975 où il parlait "de l’amitié, de la lecture, du vertige que nous procuraient certains livres, les plus forts, ceux qui avaient sans doute été les plus décisifs". En plus des cours d’un danseur américain de la compagnie de Merce Cunningham, Colette Fellous eut la chance de partager un rendez-vous hebdomadaire avec l’auteur des Mythologies et de Fragments d’un discours amoureux. De suivre le séminaire restreint du 6, rue de Tournon, lorsqu’ils n’étaient pas plus d’une quinzaine autour de la table.
"On était des enfants érotisés par sa voix, tous séduits les uns par les autres. On le regardait faire. On aimait voir ses mots bouger, se mettre ensemble, se séparer, se tenir à distance, hésiter un peu, se cacher dans le silence puis réapparaître d’un coup en lignes fermes et précises, éclatantes, dans un sourire amusé, pour former une chorégraphie, une clairière, un chant", note-t-elle si joliment.
Roland Barthes ne leur donnait aucun conseil, montrait seulement que "tout pouvait prendre sens si on prenait soin de ce tout, justement". Dans ce livre solaire et mélodique, il y a aussi maints échos de la Tunisie d’où vient Colette Fellous qui n’a cessé d’y revenir. L’auteure d’Aujourd’hui (Gallimard, 2005, repris en Folio) enchante avec sa manière de capter les émotions, les sensations, les moments et les êtres. De se retourner vers un passé dont elle ouvre les portes avec élégance.
Alexandre Fillon