1er mars > Roman France > Lionel Duroy

C’était le 29 mai 1945, dans Bucarest libéré. Sortant de déjeuner avec ses parents et se rendant à un cours sur Balzac à l’Université populaire, le plus bel écrivain (c’est-à-dire aussi romancier et dramaturge) roumain de sa génération, Mihail Sebastian, était renversé par un camion russe sans freins. Il avait 37 ans, il était juif et avait survécu autant à sa mélancolie fondatrice qu’au régime proto-nazi de la Garde de fer et d’Antonescu. L’ironie de son sort ne lui aurait sans doute pas échappé comme elle n’échappa pas à ceux de ses compagnons qui lui étaient restés fidèles (à l’image de Ionesco), là où beaucoup, par opportunisme, antisémitisme ou les deux (comme Cioran ou Eliade), lui avaient tourné le dos.

Elle n’a sans doute pas échappé non plus à Lionel Duroy, tant l’auteur de L’hiver des hommes (Julliard, 2012), le journaliste qu’il fut aussi, sait ce que la guerre leur autorise. C’est en lisant son Journal (Stock, 1998, 2007) qu’il croisa Sebastian pour ne plus le quitter et en faire le héros en creux autant que le remords et le chagrin de ce nouveau roman, Eugenia, qui le révèle plus romancier que jamais (même si son dernier livre, L’absente, Julliard, 2016, avait déjà laissé deviner cette évolution). Eugenia, c’est une jeune femme qui, encore adolescente, fait la connaissance de Sebastian en même temps que du fascisme et de l’antisémitisme qui ravagent jusqu’à sa propre famille, et singulièrement son frère aîné (thème éminemment "duroyen" s’il en est). Elle aura une liaison avec Mihail, essaiera de le protéger des rigueurs du temps autant que de lui-même, deviendra journaliste, mais ne pourra empêcher jusque dans sa propre ville un effroyable pogrom qui laissera treize mille morts. D’apparence fragile, Eugenia a la force de ceux qui savent lutter pour une juste cause : l’amour, la liberté.

Avec ce gros roman historique, écrit dans une langue plaisamment classique et porté par le vent de l’Histoire, Lionel Duroy prouve qu’il n’est pas que le sismologue de ses tragédies familiales. Il est aussi, vraiment, un grand romancier populaire à la palette plus large que peut-être il ne se l’imaginait lui-même. Que cet hypermnésique douloureux soit rassuré : son lecteur n’est pas prêt d’oublier Eugenia. O. M.

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