Ses parents avaient imaginé l'appeler Ange ou Angeline, mais quand ils ont vu sa tête, ce n'était plus possible. Arthur est « né laid ». Pas seulement moche ou ingrat : un visage à faire peur. A quoi ressemble-t-il ? On ne sait pas trop. Et ne spécifier sa laideur que par une description assez vague au début de l'histoire - « pif d'ivrogne », « menton de vieillard », « joues avachies » -, puis en faire ensuite une laideur générique, caractérisée seulement comme un écart à la norme sociale, définie par le regard des autres, est une des réussites du quatrième roman d'Isabelle Minière publié chez Serge Safran. La vie d'Arthur est un drame. Du nouveau-né au jeune adulte, il décrit un chemin de croix. On le voit laid, il se vit laid. C'est une pure injustice et une infirmité sociale. Arthur, le chevalier à la triste figure, est désespérément seul. Sa laideur l'exclut. Il essaie d'approcher une fille qui voudra bien de lui. Multiplie les camouflés, les humiliations. Mais se lance avec passion dans des études de psychologie sociale avec pour sujet de recherche : l'influence de la laideur sur le comportement des gens... Il apprend à relativiser son handicap (il y a pire). Discret, travailleur, gentil, il s'emploie à se faire oublier. Dans son malheur, Arthur grandit protégé par des parents aimants, qui, avec plus ou moins d'efforts, combattent ce mélange de déception, de honte et d'inquiétude que leur a inspiré cet enfant si loin des canons esthétiques. Ce fils qui va changer profondément leur vie. Parce que personne ne veut garder son bébé si laid, le père transformé en nounou à plein temps commence à prendre des cours de sculpture et devient un artiste coté dont le principal modèle est Arthur à tous les âges. Il fait du beau avec du laid. Plus tard, c'est la mère qui osera à son tour se lancer dans l'écriture. Comme dans Je suis très sensible ou Au pied de la lettre (Serge Safran, 2014 et 2017), Isabelle Minière, psychologue de métier, est en empathie avec les personnages décalés à qui elle prête voix. Elle met sur le parcours de ce garçon ostracisé à cause de son apparence physique des figures attentionnées salvatrices : pour Arthur, ce sera la prof de sculpture de son père, un enseignant de l'université, un chirurgien. La romancière dote aussi son héros d'une solide autodérision, indispensable dans toute trousse de survie en milieu hostile.
Je suis né laid
Serge Safran éditeur
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 17.9 euros ; 248 p.
ISBN: 9791097594152