Bande dessinée

La BD "Niala", une polémique virale mais aucun impact en librairie

Niala - Photo Glénat

La BD "Niala", une polémique virale mais aucun impact en librairie

Accusée, depuis une dizaine de jours, de véhiculer des stéréotypes racistes et colonialistes, la bande dessinée érotique Niala, signée Jean-Christophe Deveney et Christian Rossi chez Glénat, est parue mercredi 10 mars sans que la polémique née en ligne ne trouve réellement d'écho en librairie. 

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Par Marine Durand,
Créé le 15.03.2021 à 10h00

La polémique autour de Niala n'a, pour l'instant, pas dépassé les réseaux sociaux. Cette bande dessinée érotique, la première du dessinateur expérimenté Christian Rossi, scénarisée par Jean-Christophe Deveney et parue mercredi 10 mars chez Glénat dans la collection "1000 feuilles", est accusée depuis une dizaine de jours de véhiculer des clichés racistes, sexistes et colonialistes, sur les réseaux sociaux mais aussi par des chercheurs dans les médias.

Effet de la controverse, l'album, alors qu'il n'était disponible qu'en précommande, a un temps figuré dans les meilleures ventes BD d'Amazon. En librairie cependant, sa sortie s'est déroulée dans une relative discrétion, sans réaction particulière de lecteurs ou de professionnels, comme Livres Hebdo a pu le constater trois jours après sa mise en vente. "Nous en avions pris trois à l'office, principalement sur le nom de Christian Rossi. Et nous n'avons remarqué aucune espèce d'impact de cette polémique", explique-t-on chez Dans ma librairie, à Agen, où le public pour les BD érotiques "est de toute façon assez restreint". "Rien à signaler" non plus du côté de la librairie Kléber, à Strasbourg, où l'ouvrage a été disposé, comme beaucoup de nouveautés, sur une table. Pas plus qu'à la Réserve à Bulles, à Marseille, ou Emmanuel Marin se montrait simplement "surpris" que le titre ne figure pas dans la collection "Porn'Pop" de Glénat.

"Réactiver l'imaginaire colonialiste"

Niala, sorte de Tarzan au féminin, est une jeune femme noire qui a grandi dans la jungle auprès des bonobos. Cet "esprit de la Forêt" ainsi que la définissent les éditions Glénat, qui vit à l'écoute de ses désirs et de sa sensualité, initie au sexe sans tabou tous les hommes et femmes qui croisent sa route : colons, religieuses, explorateurs ou missionnaires. Le 1er mars, c'est sur Twitter que sont apparues les premières charges contre le titre, qualifié de "fétichiste, raciste, misogyne" par une lectrice, se basant sur l'argumentaire et quelques planches diffusées par Glénat. Dans le même temps, une pétition était lancée sur le site Change.org, réclamant la suspension de la parution, signée à ce jour par 4600 personnes. "On retrouve tous les lieux communs des BD d'aventure : la forêt dense, le climat humide... Et également, ce qui est problématique, l'animalisation des Noirs. C'est ça qui révolte", s'est par ailleurs insurgée auprès de l'AFP, Elodie Malanda, post-doctorante en littérature à l'université de la Sarre, déplorant également le parallèle entre "une femme noire et une guenon", propre à "réactiver tout l'imaginaire colonialiste" selon lequel "les Africains sont moins humains que les Blancs".

Les éditions Glénat et leurs auteurs, qui se défendent de tout racisme et n'ont jamais envisagé d'annuler le titre, ont en revanche modifié sa description. Le texte évoquait initialement un "hommage aux BD d'aventures décomplexées des années 50". Il évoque maintenant "six fables caustiques et parodiques qui raillent autant la pudibonderie que les stéréotypes véhiculés par les BD colonialistes des années 50". 

Une tempête dans un verre d'eau

"Quand les représentants me l'ont présentée, j'ai arqué les sourcils, mais plus parce qu'il s'agissait d'une bande dessinée érotique de plus, et que ça n'avait pas l'air incroyable", indique Kevin Lecathelinais, de la librairie BD Flash à Rambouillet, qui s'est contenté de feuilleter Niala. "C'est un peu cliché sur la représentation de la femme, mais c'est très souvent le cas dans le genre érotique. Et je me demande où est la frontière entre les clichés et le racisme", s'interroge-t-il. Son collège dans le magasin, Kévin Motillon, a lui lu l'album, et son avis est plus tranché. "Oui, pour moi c'est une BD raciste par ses clichés. Mais la taxer de colionalisme, en revanche, ça n'a pas de sens. Nalia est montrée comme un personnage fort, qui n'a pas à se justifier face aux hommes blancs, qui eux sont tous dépeints comme des idiots", observe-t-il, décrivant la polémique comme "une tempête dans le verre d'eau de la BD". Dans l'enseigne spécialisée, deux exemplaires avaient été vendu entre mercredi et vendredi, dont un à un lecteur "qui voulait soutenir les auteurs", mais "99% de la clientèle s'en moque totalement", affirment les deux libraires.

Denis Moreau, de Librairix à Bourges, se fait lui plus virulent contre "une polémique complètement idiote, apparue avant même que le livre soit paru, ou qu'il ne soit présenté aux journalistes". Même agacement du côté de Marc Szyjowicz, président du groupement de librairies Canal BD qui n'a eu "aucune remontée particulière" des libraires de son réseau, mais fustige "une période où tout est sensible et où tout se mélange, avec le risque que la création s'appauvrisse". 

Interrogé par Livres Hebdo sur la fabrication de ce titre, Jean Paciulli, directeur général de Glénat, assure n'avoir eu "aucun retour négatif des libraires" au moment de sa présentation : "on a des comités éditoriaux, on fait lire à beaucoup de gens, s'il y avait eu le moindre souci ce serait très vite remonté", détaille-t-il, las, comme les équipes de la maison, de gérer la controverse, mais satisfait de recevoir "le soutien des journalistes maintenant que l'ouvrage est paru". Interrogé sur un recours futur à un sensitivity reader - une profession qui se développe doucement dans l'édition française - pour éviter de nouvelles critiques sur d'autres ouvrages, il a écarté cette éventualité : "Nous n'avons pas besoin de comité de censure pour savoir si un ouvrage risque de porter atteinte à la dignité humaine."

 

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