La France au tribunal. Après la défaite de 1940, après Vichy, après la Libération, vient le procès d'un vieux maréchal de France. Mais ce procès est un peu plus que celui d'un homme. C'est celui qu'intente un pays qui veut tourner la page. Il lui faut des coupables pour apparaître victime de l'État français et pas seulement collaborateur. Joseph Kessel venu couvrir l'événement pour France-soir a vite compris l'enjeu de ce qui commence le 23 juillet 1945. Il redoute que ce « procès monumental prenne, à cause des dimensions mesquines de l'enceinte où il se déroule, figure de pauvre drame bourgeois ». La crainte de passer à côté de l'essentiel est présente à chaque page de l'ouvrage de l'historien britannique Julian Jackson, chez les protagonistes comme chez les observateurs. La Haute Cour est composée de trois juges et de vingt-quatre jurés, douze résistants et douze parlementaires tirés au sort sur une liste préétablie. Aucune femme n'est retenue. Les deux potentielles, dont Lucie Aubrac, ont été récusées par la défense. En revanche, côté journalistes, quatre femmes assistent aux débats : Janet Flanner pour The New Yorker, Germaine Picard-Moch (la seconde récusée comme jurée) pour Cité-soir, Francine Bonitzer pour L'Aurore et Madeleine Jacob pour Franc-Tireur.
« Le cas Pétain, c'est d'abord l'abus de confiance poussé à ses extrêmes conditions » écrit Albert Camus dans Combat. Maurice Clavel, lui, attend que « le châtiment soit suivi de l'oubli ». Mais le pays n'est pas prêt à l'amnésie. Le faut-il d'ailleurs dans cette période indécise de reconstruction qui passe aussi par celle des esprits ? Dans leurs têtes, les Français sont partagés par la joie d'en avoir fini et la tristesse du souvenir. C'est bien ce qu'on ressent en lisant Julian Jackson, auteur d'une biographie à succès du général de Gaulle (De Gaulle. Une certaine idée de la France, Seuil, 2019). Ces jours d'audience où l'on refait le film d'une drôle de guerre qui s'enfonce dans la compromission sont particulièrement bien rendus.
Le procureur général André Mornet demande la tête de Pétain « avec la plus grande courtoisie » selon Jacques Isorni, l'un des trois avocats du maréchal. La défense joue la carte de la sauvegarde du pays contre les appétits nazis et prône la réconciliation nationale. Sur le banc des accusés, le vieux combattant de Verdun n'en peut plus. Le jury va délibérer. Le lendemain, le 15 août, après trois semaines de débats et l'audition d'une soixantaine de témoins dont Pierre Laval, le tribunal rend son verdict. Kessel note un curieux silence, « la présence de l'Histoire », lorsque la condamnation tombe : la peine de mort, l'indignité nationale et la confiscation des biens. On connaît la suite : la grâce du général de Gaulle deux jours plus tard eu égard à son grand âge, puis la prison sur l'île d'Yeu. Mais c'est Mauriac qui a raison : « Un procès comme celui-là n'est jamais clos et ne finira jamais d'être plaidé. » C'est bien ce que montre le livre de Jackson, notamment sur les réminiscences et les batailles mémorielles qui ont suivi jusqu'à nos jours, même s'il considère le dossier Pétain classé, à la différence de celui du pétainisme.
Le procès Pétain. Vichy face à ses juges
Seuil
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 24,50 € ; 480 p.
ISBN: 9782021462654