Deux fils narratifs, qui n'ont a priori rien en commun, introduisent le roman, avant de ne tisser progressivement qu'une seule intrigue. D'un côté, une vie de château, familiale, en lisière de la forêt de Rambouillet. Un petit Trianon où cohabitent Serge Langlois, grande figure du cinéma français des années 1960, un « monument national » ; sa troisième femme Ambre, de trente ans sa cadette, caricature de la bourgeoise dévouée, perfectionniste et angoissée ; leur fille de 7 ans et demi adoptée en Asie centrale, qui est aussi la narratrice ; et cinq domestiques, Anna la nurse, Ralph le chauffeur, l'intendante Madame Eva, et le couple Hélène et Julien, qui s'occupent respectivement de la cuisine et du jardin. De l'autre côté, Cendrine, mère célibataire installée dans le 93, au Blanc-Mesnil, qui travaille au Super U et s'occupe de son fils Marvin. Sans grandes distractions, sa vie se résume à conseiller sa collègue et seule amie Aminata dans sa relation naissante avec Abdul Belkrim, un client aux allures de « prince abyssinien » qui, tous les jours, fait ses courses au Super U.

Mais le prince a d'autres projets : il se fait embaucher pour le clip de Virginia Langlois, amie d'Ambre et fille d'un précédent mariage du « monument national », devenue chanteuse. Parfaite figure du banlieusard racisé qui fascine tant les classes bourgeoises, Abdul voit sa carrière lancée. Il se fait connaître comme coach pour femmes de la haute (actrices, chanteuses, femmes de footballeurs...), au point que Madame Figaro, lu par Ambre et une de ses amies, lui consacre un article. Jugeant avoir besoin d'exercice, les deux femmes font appel au jeune éphèbe, qui, très vite, prend ses quartiers dans le château des Langlois. Une fête est organisée en son honneur avec ses amis du Blanc-Mesnil, parmi lesquels Aminata et Cendrine... Et c'est ainsi que deux mondes se rencontrent. L'intrigue, qui adoptait jusque-là les codes du vaudeville - avec l'hilarante caricature d'une bourgeoisie qui enchaîne les stéréotypes de sa classe -, tourne progressivement au thriller.

Portrait symbolique d'une société

Le vieil acteur français, victime des suites d'un accident cardiaque, emporte avec lui les illusions de son monde. Son testament ne correspond pas à ce qu'imaginaient ses proches légitimes. Plus rien n'est familier pour personne, plus rien ne tient désormais à sa place. Les codes se délitent et l'effet comique s'efface pour laisser place à une vision du monde où tout sonne faux, où tout apparaît comme une anomalie grotesque, un château de cartes fragile, dont les architectes, insouciants, semblent s'amuser avant d'être eux-mêmes entraînés dans son effondrement.

Empruntant son regard à la petite fille adoptée qui observe, auprès de son frère imaginaire Orlando, le drôle de monde qui l'environne, Julia Deck multiplie les traits d'humour sarcastique, qui n'épargne aucun des personnages. Elle dessine avec finesse le portrait symbolique d'une société qui, construite sur le principe de l'héritage et nourrie de fantasmes de gloire et d'argent, s'embourbe dans des situations absurdes, pathétiques voire tragiques.