Grand entretien

Joël Dicker: « Je ne suis pas éditeur, mais patron d'une maison »

Joël Dicker dans les bureaux de sa maison d'édition Rosie & Wolfe à Genève. - Photo Olivier Dion

Joël Dicker: « Je ne suis pas éditeur, mais patron d'une maison »

En ce printemps, l'auteur suisse de best-sellers a une double actualité. Il lance sa propre maison d'édition Rosie & Wolfe en même temps qu'il publie la suite de La vérité sur l'affaire Harry Quebert, L'affaire Alaska Sanders. Pour LH Le Magazine, il détaille ses projets, sa ligne éditoriale ainsi que son business plan.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 25.02.2022 à 09h00 ,
Mis à jour le 28.02.2022 à 15h24

Souriant, à la cool en baskets et sweat à capuche, Joël Dicker nous ouvre en exclusivité les portes de sa nouvelle maison d'édition à Genève, Rosie & Wolfe. L'auteur de best-sellers est littéralement chez lui, à quelques minutes à vol d'oiseau de la librairie de sa mère, près du quartier où il a grandi, au cœur de cette ville paisible située sur les bords du lac Léman. Toujours un peu à la marge, le Suisse refuse l'étiquette d'auteur autoédité qui, d'Éric Zemmour à Kylian Mbappé en passant par Riad Sattouf, qualifie ceux ayant décidé de créer leur propre maison. Il préfère parler de ses goûts de lecture et de son business plan bien taillé.

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Joël Dicker.- Photo OLIVIER DION

C'est la première fois que Livres Hebdo vous interroge sur votre travail d'éditeur...

Mais je ne suis pas éditeur, je suis le patron d'une maison d'édition. Je n'édite pas des livres, je publie les miens et ceux de certains auteurs que j'admire. Des livres que je trouve formidables et nécessaires. Mon objectif c'est de faire lire.

Qu'allez-vous publier chez Rosie & Wolfe ?

En 2022, je vais me consacrer à mes lecteurs. Je n'ai pas fait de tournée depuis quatre ans ! Le 10 mars, on publie L'affaire Alaska Sanders, la suite de La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Le premier tirage est de 600 000 exemplaires avec une mise en place de 400 000 exemplaires. En simultané, nous faisons paraître l'édition de poche de L'énigme de la chambre 622, tiré à 300 000 exemplaires. Le même jour encore, nous remettons en circulation mon fonds, en grand format et poche.

Vous avez donc récupéré l'intégralité de vos droits d'exploitation, jusqu'ici détenus par les éditions de Fallois ?

Comme vous le savez bien, les éditions de Fallois ont annoncé en 2021 qu'elles cessaient leurs activités. Mes livres n'étaient donc plus imprimés depuis cet automne.

Pourquoi avez-vous décidé de créer une maison d'édition au lieu de rejoindre un autre éditeur avec l'ensemble de votre catalogue ?

Cette aventure est née d'une longue réflexion que je mène depuis des années. D'un côté, mes rêves d'auteur. À mes débuts, je rêvais d'être publié par une grande maison d'édition traditionnelle. Des années plus tard, après le décès de Bernard de Fallois, je me suis remis à rêver de grandes maisons d'édition. Mais d'un autre côté, plus raisonné peut-être, j'ai tout de suite compris que je ne serais pas heureux chez un autre éditeur.

À cause ou grâce à l'expérience que j'ai vécue chez de Fallois, j'ai pris la décision de garder mon esprit d'indépendance. Chez de Fallois, j'étais très autonome. Je participais à toutes les étapes de mes livres, de la conception de la maquette à la gestion des cessions des droits étrangers. Bernard de Fallois m'a appris que le succès dépasse les belles ventes, les bonnes critiques et l'impact médiatique, le succès c'est le bonheur de pouvoir suivre un projet de bout en bout.

Si j'avais décidé d'intégrer une nouvelle structure, forcément plus grande, le groupe m'aurait imposé un calendrier de parutions, mon éditeur aurait eu quelqu'un au-dessus de lui, j'aurais eu d'autres règles à respecter... Et là vous allez me dire, mais tout éditeur de la place de Paris aurait accepté vos demandes, vos exigences... Je ne pouvais pas recréer artificiellement la relation que j'avais avec les éditions de Fallois qui s'est construite sur dix ans ! Cela m'a aussi aidé à prendre la décision de monter ma propre structure. Décision pas simple car créer une maison d'édition s'accompagne de beaucoup de tracas, notamment en période de pénurie de papier...

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous faites uniquement ça pour l'argent ?

Je ne cache pas mon esprit d'entrepreneur. Et cet esprit me fait dire que le plus important c'est de travailler dans un fonctionnement qui me convienne, le mien. Je souhaite écrire à mon rythme. Signer chez un autre éditeur me met dans l'inquiétude car je ne sais pas si je serai toujours aussi rentable. Est-ce que je vais toujours rapporter de l'argent pour des livres que je n'ai pas encore écrits ? Apparemment, les auteurs de best-sellers ne rapportent pas autant à leur éditeur qui se rémunère finalement sur ce que lui rapporte le distributeur... Si ce modèle économique est vrai, je ne le trouve pas très bon en tant qu'entrepreneur. Je pense que l'éditeur doit aussi gagner de l'argent. Je n'ai jamais touché un euro d'à-valoir chez de Fallois. Je leur disais : « Vous me paierez en fonction de mes ventes. » Cette logique m'apaise.

Joël Dicker
Joël Dicker- Photo OLIVIER DION

Quel est donc votre business plan ?

Vous savez, on dit souvent que les revenus générés par un auteur de best-sellers servent à financier la parution de livres plus confidentiels, dans le but de favoriser une diversité éditoriale. C'est exactement ce que je compte faire ! Je lance cette maison d'édition après avoir eu la chance de voyager partout dans le monde grâce à mes livres. Ces voyages ont provoqué des rencontres avec des auteurs étrangers. Et j'ai un petit sac avec des livres qui n'ont jamais été publiés en français et qui sont des pures merveilles. En décidant de les faire traduire, je me suis dit que c'était l'occasion de rendre aux écrivains et à l'industrie du livre ce qu'elle m'a donné. Je participe à cette redistribution en réinvestissant l'argent rapporté par mes romans.

Désormais vous vous autoéditez ?

Mes livres sont édités par deux personnes qui m'ont expressément demandé de ne pas dévoiler leur identité... Pour les autres livres, je participe à leur édition mais ce n'est pas ma principale casquette. Mon but c'est d'être en mesure de défendre personnellement ces livres, aux côtés des auteurs, lorsqu'ils paraîtront en France.

Quels sont les premiers titres que vous allez faire traduire ?

Deux essais paraîtront en 2023. Le premier, War in the Shadows, est signé Patrick Marnham et parle de cette branche clandestine des services secrets britanniques qui apparaissait dans mon premier roman, Les derniers jours de nos pères. Le sujet est fascinant et ce livre n'avait pas trouvé d'éditeur en France, j'en ai donc acquis les droits. Ensuite, nous allons publier Reader, Come Home de Maryanne Wolfe. C'est un livre extraordinaire sur l'importance de la lecture. Publié en 2015 chez HarperCollins, il a été traduit dans le monde entier. Je suis très heureux et très fier de pouvoir faire paraître ces deux livres.

Envisagez-vous de publier des écrivains francophones ?

Je ne m'interdis rien. Je me suis seulement fixé la règle de ne pas publier plus de deux livres par an, en plus des miens. J'ai déjà quatre ou cinq livres étrangers que j'aimerais faire traduire, j'avais déjà parlé de certains à Bernard de Fallois ! Mais je verrai si je suis ce chemin-là... La ligne éditoriale de Rosie & Wolfe se construit au fur et à mesure. Je ne peux pas aller plus vite que la musique, il faut que je prenne le temps. Je vais forcément rester proche des thématiques que j'aime déjà pour le moment. Même si je reste très ouvert.

Vous êtes auteur et rompu à l'exercice des contrats d'édition. Les auteurs de Rosie & Wolfe pourront-ils bénéficier de conditions financières plus favorables que dans une maison d'édition classique ?

En ce qui concerne les auteurs francophones, l'idée c'est de rester sur des à-valoir à zéro tout en leur proposant des pourcentages préférentiels. L'écrivain doit être bien rémunéré pour le livre qui est le sien. Les pourcentages peuvent donc aller au-delà de 15 % dès le premier palier. Chez Rosie & Wolfe, nous sommes aussi en mesure de gérer les droits dérivés des auteurs du catalogue. Nous sommes déjà en contact avec une soixantaine de pays, là où mes livres sont traduits.

Recevez-vous déjà des manuscrits ?

Une quinzaine en moyenne par semaine. Mais, comme mes choix de publication sont déjà bouclés pour les deux prochaines années, j'invite ceux qui m'envoient leur texte à s'adresser aux maisons d'éditions qui ont un comité de lecture : ici, nous sommes très petits. La maison va grandir au fil des années et disposera d'un catalogue d'une quarantaine de titres dans 20 ans.

Qui compose votre équipe ?

Nous sommes six personnes. Je travaille avec Olivia El-Eini et Sabrina Migliozzi, responsables des cessions de droits dérivés et des aspects administratifs. Marie-Claire Ardouin s'occupe de la fabrication et Anne-Sophie Aparis de la communication et du marketing. Enfin, Gilles Cohen-Solal occupe le poste de directeur du développement et de la stratégie commerciale. Une amitié très forte nous unit avec Gilles. C'est lui qui m'a aidé à monter cette maison d'édition. Il a cette expertise du commercial dans un métier qu'il côtoie depuis quarante ans. Réussir à gérer les stocks, les impressions, notamment pendant des crises comme celles qu'on vit actuellement avec le papier, c'est bien le nerf de la guerre.

Pourquoi avez-vous décidé de signer avec Interforum ?

Le distributeur est un partenaire indispensable, on n'existe pas sans distributeur, c'est un allié très important. J'ai eu un gros coup de cœur pour Michèle Benbunan et Arnaud de Puyfontaine. La relation avec eux est simple, très facile. C'était de l'ordre de l'évidence. Ce qui m'intéresse c'est de tisser des relations humaines. J'ai beaucoup de succès aujourd'hui mais cela va inévitablement baisser un jour. J'espère que ceux qui me répondent aujourd'hui au téléphone continueront de le faire lorsque je vendrai moins de livres. Cette question me préoccupe.

Êtes-vous inquiet de la concentration dans l'édition, à la veille d'un rapprochement entre Editis et Hachette ?

Je ne vais pas spéculer sur cette question, cette fusion n'a pas été actée. En revanche, je peux vous parler de mon expérience. J'ai déjà été publié à l'étranger chez un éditeur qui a été racheté par un autre groupe et dont le rachat a été invalidé par la commission de la concurrence. Ce ballottement, je l'ai vécu. Et je peux vous assurer que l'esprit indépendant des maisons d'édition qui ont été rachetées est demeuré intact. Ces financiers comprennent aussi que l'indépendance fait la qualité de ces maisons et qu'ils ont tout intérêt à la préserver. En outre, ces maisons ont gagné en efficacité car leurs services généraux et leurs cessions des droits sont passés sous le contrôle d'un groupe.

Êtes-vous sensible à la question de la surproduction ?

Il y a beaucoup de livres qui paraissent, probablement trop. Est-ce qu'il faudrait en produire moins ? Je ne sais pas. Le plus important, en ce qui me concerne chez Rosie & Wolfe, c'est de donner de la visibilité à chaque livre qu'on publie ainsi qu'à chaque livre qu'on aime. Par exemple, je ne m'interdirai pas de partager mes coups de cœur de lecteur sur les réseaux de Rosie & Wolfe. Des livres publiés chez Gallimard ou Michel Lafon, pour ne citer qu'eux. Car cette défense de la lecture et de sa pratique est commune et urgente.

Tournée des libraires Joël Dicker
Dates de la tournée des libraires de Joël Dicker

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