Créée en 1994 pour mettre en œuvre le catalogue collectif des bibliothèques de l’enseignement supérieur (Sudoc), l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes), qui dépend du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est aujourd’hui chargée de créer et de gérer des outils et des services documentaires destinés à la communauté des universités et de la recherche.
Livres Hebdo - L’Abes, dont vous avez pris la direction en octobre 2013, fête ses 20 ans. Quel chemin a-t-elle parcouru ?
Jérôme Kalfon - Il est très important. L’Abes est devenue un opérateur national majeur, qui recueille, je crois, une forte adhésion des professionnels. Ses missions se sont considérablement diversifiées, et son fonctionnement a évolué. Il y a quelques années, on n’aurait pas imaginé que l’Abes participerait à des projets de recherche pure comme c’est le cas aujourd’hui. Les missions nationales qui lui ont été conférées par l’Etat demeurent et constituent toujours le socle structurant de ses activités et de ses services, tels que le catalogue collectif Sudoc ou le Prêt entre bibliothèques (Peb). Mais l’Abes s’est parallèlement engagée dans des actions qui relèvent de la mutualisation, comme c’est le cas avec le système de gestion de bibliothèque mutualisé. Ce projet émane de la demande d’un certain nombre d’établissements adhérents de l’Abes, qui ont du mal à faire face à la gestion de leur documentation papier et numérique. Je pense que nous allons continuer à évoluer vers un mode de fonctionnement et de décision plus collaboratif. L’Abes agira de plus en plus en lien avec d’autres institutions et réseaux tels que Couperin ou l’Institut national de l’information scientifique et technique (Inist).
Où en est ce projet de Système de gestion de bibliothèque mutualisé ?
Un appel d’offres va être lancé en septembre 2014. Il sera suivi d’un dialogue compétitif entre les candidats de novembre 2014 à novembre 2015 pour tester et choisir les solutions. Nous prévoyons la signature d’un accord-cadre en février 2016, puis le lancement de la phase pilote à laquelle participeront douze établissements pour une mise en œuvre à la rentrée 2016.
Et le projet Istex ?
Istex comprend deux volets. Le premier concerne l’acquisition de ressources documentaires dans toutes les disciplines à destination des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche, sous forme de licences nationales. Cette activité, entamée depuis plusieurs années, se poursuit. Le deuxième volet est le développement d’une plateforme pour les chercheurs, qui hébergera l’ensemble de ces ressources, plusieurs millions de documents numériques dans toutes les disciplines, avec des services tels que l’accès au texte intégral du document, un moteur de recherche puissant adapté aux besoins des scientifiques, des services de traitement des données tels que l’extraction de données, la fouille de texte - le data mining en anglais. Il y aura bientôt un prototype, mais cela demande des développements très lourds. Ce programme, mené avec le consortium Couperin pour le choix des ressources, et avec l’Inist et l’université de Lorraine pour le développement technique de la plateforme et des services, est une bonne illustration de projets mutualisant différents acteurs spécialisés. On ne pourrait pas mener des projets ambitieux de cette ampleur sans travailler en réseau.
Pouvez-vous nous en dire plus sur deux autres chantiers importants de l’Abes : la base de connaissance nationale Bacon et le hub de métadonnées ?
Le projet Bacon, initié à l’automne 2013 en collaboration avec le consortium Couperin, est né du constat que le signalement des ressources électroniques détenues dans les bibliothèques est de mauvaise qualité. Bacon est un prototype de base de connaissances permettant de récupérer les informations en provenance des catalogues des éditeurs dans un travail de collaboration avec ces derniers. C’est un enjeu important de disposer de données complètes et exactes, faute de quoi le document n’est pas visible pour le lecteur.
Le hub de métadonnées est quant à lui à la fois un projet en construction et un service déjà en activité. L’objectif est de disposer d’outils qui permettent de traiter des métadonnées de provenances et de natures hétérogènes et de les rendre visibles dans différentes interfaces. Dans le programme Istex, qui donne accès à des ressources scientifiques négociées auprès des éditeurs dans le cadre de licences nationales, l’équipe du hub exploite la masse de métadonnées fournies par les éditeurs. Il s’agit de vérifier la qualité et l’exactitude de ces données. C’est un travail en construction, qui se fait en collaboration avec les éditeurs. L’idée du hub est de normaliser, corriger et enrichir les notices avant de les redistribuer vers des environnements très divers - outils de découverte, résolveurs de lien, Web de données. Cela permet par exemple d’ajouter la table des matières d’un livre dans sa notice.
Quels sont les principaux défis de l’Abes pour les années à venir ?
Faire face à la diversité grandissante de ses activités ; accompagner les établissements dans le signalement des ressources documentaires dans une période où les ressources électroniques vont continuer à se développer sans que le papier disparaisse, même si la place qu’il occupe se réduit progressivement. L’autre grand défi concerne la question des liens entre les données de la recherche. Il est essentiel d’empêcher que les données soient détenues par quelques acteurs privés qui fixeront des prix et des conditions d’accès dont les bibliothécaires et les éditeurs seraient complètement dépendants. Pour éviter des marchés captifs, il faut que coexistent plusieurs opérateurs, dont des opérateurs publics qui servent de régulateurs et détournent de la tentation d’aller vers une situation de monopole dans laquelle le prix à payer pour les nouveaux entrants serait inabordable. Les données de l’Abes, par exemple, sont réutilisables gratuitement par tous, y compris pour des usages commerciaux.