Avant-critique Science-Fiction

Jeff VanderMeer, "Astronautes morts" (Au Diable Vauvert)

Jeff VanderMeer - Photo © Kyle Cassidy

Jeff VanderMeer, "Astronautes morts" (Au Diable Vauvert)

Toujours en mode cyberpunk, Jeff VanderMeer crée un très fantasmagorique décor terrestre dans lequel trois êtres hybrides tentent de redevenir humains.

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Par Cédric Fabre
Créé le 14.09.2023 à 09h00

Des démons et des drones. Ils s'appellent Chen, Mousse et Grayson et ils arpentent le désert comme des guerriers fatigués, se déplaçant de ville en ville, parfois dormant sur des toits à moitié effondrés, trouvant de la soupe dans des refuges pour vagabonds, s'interrogeant sur ce qu'ils sont vraiment. Peut-être simplement des créations parmi d'autres de la Compagnie, une société spécialisée dans les biotechnologies qui est possiblement à l'origine de la destruction de la planète et de l'apparition de monstres... Celle qui dirige ce petit groupe est une femme noire sans âge, Grayson, qui se souvient vaguement avoir été astronaute et qui se serait égarée, avec son vaisseau, entre une base lunaire et la Terre. Chen, ancien ouvrier de la Compagnie, lutte − parfois même physiquement − contre son propre double monstrueux, tandis que Mousse s'échine à réinsuffler de la vie aux végétaux, à raviver les sentiments et les émotions, consolant la nature partout où elle passe. Ils se sont donné pour mission d'en finir avec la Compagnie et de sauver les villes agonisantes. Mais l'environnement qu'ils affrontent est une entité vivante et pensante complexe, une terre complètement remodelée par la cruelle entreprise qui envoie ses léviathans pour détruire les trois amis. Avec ses contours flous, le monde créé par VanderMeer, habité par des démons qui changent constamment de forme, est aussi terrifiant qu'il paraît abstrait et irréel. Les héros traversent des usines en ruines et d'anciens logements criblés de trous, croisent des renards bleus qui font office de gardiens, combattent des mâchoires surgissant de la vase, et parfois se détendent en jouant au frisbee.

Ils méditent en ces termes sur les préceptes de sagesse qui ont été perdus : « Avant, on pouvait compter sur la connaissance que les uns avaient de la volonté des autres ». Et ils se demandent finalement contre quoi ils se battent vraiment : des champs de force invisibles ? Un savant du nom de Charlie X, qui a mené des expériences dans un laboratoire afin de donner plusieurs formes aux choses et aux êtres ? Astronautes morts est un fascinant roman foutoir. C'est au lecteur de lui donner un sens, alors que tout, dans le récit, semble en apparence désordonné et désagrégé. La notion du temps y est habilement brouillée et les héros se perdent dans l'histoire d'autres personnages, comme cette petite fille grandie sans père et devenue démon grâce à l'aide d'une salamandre... On songe autant à William Gibson qu'à Terry Pratchett, et l'on oscille entre la physique quantique et la fable onirique définitivement barrée, conscient d'être lancé à pleine allure dans une odyssée psychédélique où l'on doit laisser de côté toutes nos pratiques ou codes de lecture habituels. Au fil d'une langue éclatée et tortueuse qui porte malgré cela une poésie délicate et presque cosmique, on entrevoit juste qu'une énergie mystérieuse et intangible anime ce monde dévasté − et également ce livre −, où la vie tente peu à peu de renaître et de laisser à nouveau une place aux sensations humaines, d'une façon prodigieuse.

Jeff VanderMeer
Dead astronauts
Au diable Vauvert
Tirage: 2 300 ex.
Prix: 23 € ; 400 p.
ISBN: 9791030706130

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